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Les chemins de la culture

Philosophie, économie, politique, littérature, la culture rendue accessible à tous

La responsabilité et la culpabilité...ou la responsabilité pour être libre, et la conviction pour le rester

Responsabilite-culpabilite.jpgResponsable et coupable ? Responsable mais pas coupable ? La question de la responsabilité et de la culpabilité se pose lorsque les conséquences d’un acte sont préjudiciables pour autrui, ou sur l’environnement. Le fait d’être l’auteur d’une action dommageable implique-t-il nécessairement que l’on soit coupable du dommage subi ? Il faut d’abord réfléchir sur la responsabilité pour répondre à cette question. Il est admis de penser la responsabilité sans en référer au lien qui unit l’auteur et l’acte accompli. Est responsable celui qui est à l’origine de l’action. Pour autant, les conséquences de cet acte lui appartiennent-ils ? Nous répondrons que non, car entre l’intention et le résultat, il peut exister un écart. En agissant, nous ne maîtrisons pas tout, même si notre volonté nous le commande. Les conséquences de ce que l’on a fait excèdent ce que l’on voulait faire initialement, avant que d’agir. Ainsi, être à l’origine d’un acte revient à s’en remettre à une série causale, à un enchaînement de faits, qui nous échappe pour partie. Il y a toujours de l’inattendu, de l’imprévisible, qui peut s’inviter au cours de la réalisation d’un acte. Dès lors, si la conséquence s’en voit significativement modifiée par rapport au résultat anticipé qui m’a poussé à agir de telle façon, dans quelle mesure suis-je responsable des effets produits ? Je puis très bien dire que cela n’est pas de ma faute, ceci traçant alors la frontière entre la responsabilité et la culpabilité. J’ai certes agi, je suis responsable car sans cette action, point de conséquence. Mais quant à la nature de cette dernière, je n’y suis pour rien parce que quelque chose est venue interférer mon entreprise. Ainsi, face à l’étendue de l’imprévisible, où s’arrête la responsabilité et où commence la culpabilité ?

 

La tradition occidentale confondait par le passé la responsabilité et la culpabilité. La personne à l’origine d’un acte était coupable des conséquences négatives de ses agissements même si certaines choses lui échappaient. Le XXème a révisé cette position quelque peu mécanique. Un écart est dorénavant admis entre la responsabilité et la culpabilité. Je puis très bien être responsable, toujours selon le principe de l’origine de l’acte, sans pour autant être coupable en cas d’effet négatif né de mon action. Le droit reconnaît qu’une faute peut être commise sans que l’auteur en ait eu conscience. Autrement dit, j’ai certes agi, mais mon intention n’était pas de faire le mal. J’ai perdu le contrôle de mon acte, ou encore il ne m’a pas été dit qu’en faisant de la sorte, j’agirais mal. Je ne disposais pas de toutes les cartes en main pour entrevoir la portée négative de tel ou tel agissement. J’ai pu également agir sous commandement, sans qu’il me soit demandé, et je n’en avais d’ailleurs pas le droit, de me préoccuper des conséquences issues de l’exécution de l’ordre. Ce dernier argument fût notamment utilisé par Eichmann pour sa défense lors de son procès à Jérusalem en 1961. Le haut-fonctionnaire nazi, responsable des transports de trains menant les juifs vers les camps d’extermination, n’exprima aucun sentiment de culpabilité, car il estimait en son for intérieur ne pas être coupable. Selon lui, il n‘avait fait que répondre aux ordres donnés par sa hiérarchie. Il exprima même le sentiment d’un bien-être, convaincu d’avoir accompli correctement son travail. C’est l’idée de bonne conscience que se dégagea des propos d’Eichmann quant à son implication au génocide juif, et qui fût reprise par Hannah Arendt, grande figure de la philosophie contemporaine reconnue entre autres pour ses travaux sur l’activité politique, et qui couvrit le procès pour un journal américain. Cette couverture fit l’objet d’un livre, Eichmann à Jérusalem. Elle y démontra dans cet essai qu’Eichmann n’avait rien d’un monstre, mais qu’il était un homme s’exonérant de toute considération quant aux conséquences de ses actes. Ce qui lui importait, c’était d’être à l’origine de ce qui lui avait été ordonné, et de faire de son mieux. Arendt introduisit ainsi la notion de banalité du mal, également sous-titre de son livre, signifiant qu’avec la meilleure volonté, autrement dit en pensant agir correctement ou conformément à ce qui est reconnu comme devant être fait, on peut tout à fait faire le mal. Il suffit pour cela de se concentrer exclusivement sur l’intention en écartant toute attention à propos des conséquences. Cette assertion d’Arendt rejoint les concepts produits par Max Weber au sujet de l’éthique de conviction et de l’éthique de responsabilité. La première consiste pour l’homme à poser un principe et à s’y tenir absolument, ce qui le dispense de toute culpabilité dès lors qu’il agit en conformité avec ce principe. A contrario, l’éthique de responsabilité reconnaît l’existence d’un lien entre l’origine et les conséquences d’un acte.

 

Hannah Arendt et Max Weber furent deux auteurs essentiels du XXème siècle concernant le thème de la responsabilité et de la culpabilité. Ces deux intellectuels évoluèrent surtout dans un courant de pensée postkantien caractérisé par la faillite de l’éthique énoncée par Kant, laquelle acquittait l’homme des conséquences de ses actes. En effet, le philosophe recommandait d’agir selon une maxime personnelle qui puisse être universalisable. En d’autres termes, ce que je veux, les autres doivent pouvoir le vouloir également. Et peu importe les conséquences, car sur ce point, Kant s’en remet à Dieu en estimant que cela n’est moralement pas à la portée des hommes. Eichmann a donc très bien pu agir conformément selon ce principe kantien. Et même si Kant précise par ailleurs qu’il faille considérer l’être humain comme une fin, et non comme un moyen, rien n’empêche un soldat de destituer son ennemi de son statut d’homme et donc de l’exclure des principes moraux. Pour reprendre la distinction faite par Max Weber en matière de responsabilité, un soldat vit sa condition de militaire encadré par l’éthique de conviction. Il agit parce que c’est son devoir, et rien ne lui importe plus que de respecter ce devoir. Et pour mieux supporter des agissements à la limite du supportable, comme la torture par exemple, il lui est inculqué lors de sa préparation militaire le principe de l’étrangeté. Il s’agit de ne pas considérer le supplicié comme un être humain, mais comme un ennemi forcément étranger à toute idée de l’humanité pour laquelle lui, soldat, il est prêt à mettre sa vie en péril. L’étrangeté fût aussi l’argument d’Hannah Arendt pour contredire le principe de responsabilité proposé par Hans Jonas au lendemain de la seconde guerre mondiale. Jonas, constatant que la peur de l’enfer ne peut plus être un axe moral car Dieu n’est plus craint, voire mort pour certains, propose une nouvelle crainte destinée à servir la conduite de l’être humain : la destruction de l’homme par l’homme. Arendt répond que cette solution n’est pas entièrement valide car rien n’empêchera quelques uns de considérer autrui comme ne faisant pas partie des leurs, donc ne méritant pas le statut d’humanité qui selon Jonas doit préserver l’homo-sapiens de son autodestruction. En outre, concernant la torture, ne serait-elle pas justifiable, après que tout ait été entrepris, pour obtenir des aveux susceptibles de sauver de nombreuses vies humaines ? Autrement dit, au-delà de tout conditionnement militaire, peut-on torturer pour de bonnes raisons ? Existe-t-il des situations où l’élimination physique d’un homme serait conforme à la sauvegarde de l’humanité ? Pour répondre à ces questions, il convient de se placer sur le terrain politique et non moral. Oui, il est politiquement admis de tuer dès lors que la liberté de l’homme et la dignité de l’humain sont en dangers quand la justice ne peut plus être rendue et qu’ainsi seule la barbarie gouverne. C’est ce que firent les résistants français durant l’occupation nazie et dans les rangs desquels se trouvaient pourtant de grands humanistes.

 

La morale au sens strict du terme trouve ainsi ses limites en politique, mais celle-ci n’exclut pas la responsabilité. A ce propos, Max Weber considère que celui qui s’y engage doit être animé par l’éthique de responsabilité, à la différence du soldat, ou encore du chrétien, pour qui le devoir reste essentiel. Weber énonce trois conditions dont la réunion est nécessaire pour un exercice adéquat de la politique : principe, lucidité, responsabilité. En effet, l’homme politique s’engage au nom de principes, et cet engagement entraîne par la suite des conséquences qui ne seront vues et analysées par le même homme qu’à condition qu’il soit lucide, tout cela pour mieux assumer la responsabilité des effets produits par ses actes. Ainsi, le politicien peut très bien accepter le compromis sans pour autant verser dans la compromission. Il ne faut pas confondre une capacité d’adaptation de principes avec la réalité avec du cynisme. Trouver un compromis ne signifie pas se compromettre, même si le danger existe de s’y perdre. La lucidité sert justement à éviter tout grand écart qui serait un reniement. Le politique doit ainsi être en mesure d’accorder ses principes aux contraintes pesant sur son action et qui le dépassent. C’est ce que Raymond Aron nomme l’essence machiavélienne de la politique ; autrement dit l’art du compromis, qui consiste à abandonner une part d’idéalisme au pragmatisme. L’ambivalence est au cœur de toute affaire publique, comme l’indique Machiavel, car la politique se réalise au milieu des hommes, et cette configuration induit des répercussions pouvant être aussi bien négatives que positives, prévisibles qu’imprévisibles. La réalité est ainsi faite et il faut donc être ambivalent pour pouvoir agir politiquement dans ce contexte. Il n’est pas question cependant d’abdiquer, c’est-à-dire s’abandonner à ce qui serait plus fort que soi. Ce serait d’ailleurs une attitude irresponsable, parce que la responsabilité s’éteint avec la soumission, en renonçant à sa liberté. En effet, la liberté n’existe pas sans responsabilité, et inversement. Savoir se montrer responsable, donc être libre, c’est savoir rester soi-même, sans se renier, et cela y compris lorsque les conséquences de ses actes sont diamétralement opposées aux intentions de départ. En d’autres termes, le fait d’avoir perdu n’empêche pas de poursuivre son engagement, et c’est la conviction qui autorise cette poursuite. Il faut être responsable pour être libre, et convaincu pour le rester.

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D
<br /> La liberté et la responsabilité sont une seule et même chose, deux faces d'une même pièce de monaie.<br /> <br /> Etre responsable c'est, prendre sur soi son acte, une situation, l'acte d'un autre.<br /> Etre libre, c'est prendre à son compte, prendre sur soi ses actes, les situation dans lesquelles on se retrouve. Le manque de liberté se traduit par l'attitude d'y être pour rien dans une<br /> situation, donc avoir subit les évènements. Celuiu qui bubit n'est libre.<br /> <br /> <br />
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S
<br /> Un sujet similaire :<br /> <br /> http://laphilosophiedusanglier.blogs.lalibre.be/archive/2009/09/18/la-liberte-et-la-responsabilite.html<br /> <br /> <br />
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