Retour vers le passé grâce à Bergson

Il est  une intuition de Bergson des plus intéressantes à propos du possible et de l’impossible. En effet, Bergson nous dit que n’est possible que ce qui s’est réalisé. Sans réalisation, point de possible ; la chose parce qu’elle ne s’est pas produite reste impossible. Il y aurait de la sorte une frontière entre l’impossibilité et la possibilité, dont le franchissement est conditionné à un évènement futur. Ou plutôt, nous pourrions dire qu’au présent se joue une partie du passé, c’est-à-dire que parce qu’une chose présentement s’est réalisée, elle est devenue possible, mais cette possibilité ne concerne ni présent, ni futur, donc c’est bien au passé que s’envisage la possibilité ainsi dégagée. Il y a ici comme une sorte de rétroactivité, même si ce qui est possible reste au passé, et non s’inscrivant dans le passé. L’analyse de Bergson n’en reste pas moins vertigineuse, mais également inquiétante. Vertigineuse, car on comprend que le présent se joue également du passé, avec la possibilité, alors que nous pensons ordinairement que l’influence des temps est de sens inverse, avec le passé conditionnant, ou déterminant, le présent. Inquiétante, car ceci crée une difficulté de taille en matière de prévision, notamment pour ce qui concerne les exercices d’anticipation de catastrophe afin de prendre les mesures nécessaires à leur évitement. Car s’il s’agit d’attendre que l’accident se soit produit pour en déterminer la possibilité afin de le prévenir, on se rend bien compte que tout principe de précaution, toute mesure de couverture de risques, perd de son sens. Le risque ne se maîtrise jamais aussi bien une fois avéré, mais alors s’agit-il encore d’un risque ? Une couverture est préventive, non curative. J’avoue que le paradoxe bergsonien ainsi soulevé me laisse dans une impasse pour ce qu’il s’agit de devancer toute catastrophe. Par contre, mon imagination se laisse facilement emmener dans ce voyage à travers le temps que Bergson implicitement nous propose, de ce retour vers le passé grâce au présent.