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Les chemins de la culture

Philosophie, économie, politique, littérature, la culture rendue accessible à tous

Le rationalisme et l'intellectualisme : des entraves à l'esprit et à la liberté ?

Texte écrit par Viviane le Brazidec

 

«Quand le Réel devient une illusion, c’est le sens de l’irréel qui sauve de l’illusion». (Pascal)

 

 

Rationalisme.jpgLa séparation d'avec sa nature instinctive conduit l'homme à un conflit entre le Conscient et l'Inconscient qui forment pourtant la totalité de sa psyché. Il s'agit là d'une opposition farouche et ancienne entre Nature et Culture, entre l'Homme sauvage primitif et l'Homme civilisé occidental. Il semblerait que plus l'Homme s'est emparé de la Nature et plus il s'est enorgueilli de lui-même, s'octroyant un pouvoir qui lui est monté à la tête. Son mépris pour tout ce qui n'était que naturel a donc inclus cette psyché autonome en marge du conscient. Cet inconscient est pourtant bien objectif, contrairement au subjectivisme de la conscience, puisque qu'il se manifeste sous forme de sentiments irrépressibles et d'impulsions qui nous envahissent sans nous consulter.

 

Même si c'est un fait établi aujourd'hui (et ce depuis près d'un siècle) que se dresse une réalité psychique inconsciente en face du conscient et l'influençant, on s'en fiche et l’on agit comme si de rien n'était dans cette France d'aujourd'hui. De plus, malmener ou négliger les instincts entraîne des conséquences pourtant très dommageables sur notre santé mentale et physique. Cette ignorance nous conduit tout d'abord à consulter le médecin.

 

Nous pouvons de surcroît nous interroger, mais à qui profite le crime ? Le rationalisme à tous crins ne prive-t-il pas la vie individuelle de ses bases instinctuelles et spirituelles, transformant ainsi l'individu en un numéro abstrait de la statistique sociale et lui retirant aussi toute idée (trop subversive !) de chercher un sens à sa vie ? En effet, la fonction religieuse, qu'il est capital de distinguer de la religion, est constitutive de l'Inconscient et donc une attitude instinctive propre à l'homme ; elle est en rapport avec tout ce qui est de l'ordre de la relation, à soi, à l'autre, à la vie, à la nature, à la communauté, à Dieu... (relation, relier, reliance, religion, religare en latin, sont de la même famille). Albert Camus mentionnait le goût de l'asservissement intellectuel qui s'épanouit de plus en plus dans notre pays. J'y ajouterai que cet intellectualisme sévit tel un tyran parce qu'éloigné du coeur, il pense unilatéralement. Ce Coeur est pourtant cette autre partie intégrante de l'Esprit qui s’il est réunifié, insuffle les belles idées et les grandes nouveautés, les faisant naître le plus souvent à l’endroit le plus inattendu.

 

C'est plus particulièrement le rationalisme de la pensée scientifique qui participe de cette "massification" de l'individu. Ce dernier s'il ne prend pas garde et se laisse réduire à cette unité sociale de valeur zéro, perdra peu à peu son individualité, sa première source de vie et de richesse. Et plus son individualité diminue et plus il tendra à se fondre dans la masse. Malheureusement, l'addition d'un million de zéros ne fera jamais un, ne donnera jamais la substance d'une unité vivante. En effet, l'homme moyen des statistiques n'existe pas. Si vous calculez la taille moyenne d'un grand nombre de cailloux présents dans une carrière, vous pourrez sans doute chercher longtemps sans trouver celui qui correspondra à cette taille précise.

 

Il est important de préciser que devant cette menace de la société envers l'individu, et selon la loi de compensation d'Héraclite (le concept d'énantiodromie) qui postule que toute chose se précipite un jour dans son contraire, se montre au grand jour cette fois, le visage de l'individualisme poussé à l'extrême, c'est-à-dire dans les mêmes proportions que celui de la "massification". Ce mouvement inverse qui incite les contemporains français à s'isoler pour ne se soucier que d'eux-mêmes et de leurs proches les empêche cette fois-ci de s'abreuver à une deuxième source de vie tout aussi riche et essentielle qui est celle de la communauté. Parce qu'un train peut en cacher un autre, ici cet individualisme permet surtout de camoufler subtilement le danger plus grand du rouleau compresseur d'individus, qui avance lentement mais sûrement.

 

Tous ces faits ont pour but d’entraîner les Hommes à ne plus devenir qu'une fonction de cette société, celle-ci s’imposant comme une personne vivante dont on attend tout. Aussi et surtout, celle-ci tente par tous les moyens d’empêcher ses contemporains d'accéder à l'autonomie donc au savoir. Car c’est en devenant autonome comme la Nature que celle-ci nous délivre ses secrets.La société nous diminue intellectuellement et moralement. Alors que l'individu est pourtant l'unique porteur de vie. Et sa vie vécue individuelle est ce vaisseau à une place qui seul peut l'emmener au coeur de toute chose contrairement à toute théorie et/ou concept qui ne se promènent qu'aux abords.

S'il n'y avait pas d'esclaves, il n'y aurait pas de maîtres (Hegel). N'y a-t-il pas là tant de bénéfices pour certaines élites, prêtes à tout pour garder leur trône et leurs privilèges, jusqu'à la fin des temps... ? (« Que d'hommes se pressent vers la lumière non pas pour voir mieux, mais pour mieux briller. Qui se sait profond tend vers la clarté ; qui veut le paraître vers l'obscurité », Nietzsche).

 

Alors méfions-nous de ne penser qu'en termes de grand nombre et si ne voir que la masse en niant l'individu ou ne plus voir que l'individu en oubliant qu'il vit dans un milieu sont tout autant déraisonnables, cessons d'attendre que ce "milieu" nous offre en cadeaux ce dont nous ne pouvons acquérir qu'aux prix d'efforts personnels importants. Par conséquent, s'élever et s'affirmer pour prendre sa juste place dans le monde semble encore le seul moyen d'advenir à soi-même et d'éviter ainsi d'être avalé dans cette matrice informe. Pour cela, la tâche est bien sûr difficile mais pas impossible. George Orwell, cet enragé de la lucidité, a écrit lors d'un accès de pessimisme, il y a plus de 70 ans, qu'il se pourrait un jour "qu'on crée une race d'hommes n'aspirant pas à la liberté, comme on pourrait créer une race de vaches sans cornes ». Alors prenons-le plutôt au sérieux pour que cela n'arrive jamais.

 

N'est-ce pas également ce même rationalisme qui oppose Savoir et Croyance, Pensée et Religion, Foi et Raison, Réel et Irréel et qui rejette tout ce qui ne peut se démontrer au travers de ses seules lunettes intellectuelles. L'univers ne repose-t-il pourtant pas sur l'équilibre des contraires, comme le jour et la nuit, le soleil et la lune, le chaud et le froid, le ciel et la terre, la lumière et l'ombre, le masculin et le féminin ? C'est toujours cette pensée "castratrice" qui peut encore refuser de reconnaître l'existence de l'inconscient ou si c'est moins le cas aujourd'hui compte tenu de ses nombreux effets incontrôlables dans la vie de chacun, de prétendre tout connaître de lui. De là dérive cette totale négligence de son pouvoir d'influence sur notre conscience, niant de ce fait son autonomie et permettant aussi de le ranger dans un tiroir bien caché de sa psyché, espérant qu'il y restera bien sage et sous surveillance. Il est donc juste réduit à n'être que ce réceptacle bien "commode" de tout ce que nous refusons de voir de nous-mêmes et que nous projetons de surcroît constamment sur l'autre.

 

Cette pensée unilatérale suppose donc qu'elle connaît aujourd'hui totalement la psyché, ce qui l'amène à soutenir qu'elle connaît également tout ce qu'il y a à connaître de l'univers physique. Deux suppositions d’une fausseté évidente car la psyché fait partie de la Nature et leur mystère est sans limites. La sagesse ne serait-elle pas d'admettre simplement que nous ne pouvons définir ni l'une ni l'autre. Toutefois, nous pouvons avoir la conviction de leur existence et tenter de décrire le mieux possible leur fonctionnement. Puis ces savoirs-limite sont des savoirs quand même. Le philosophe Pascal a fait de l'expérience des limites un moyen d'investigation de l'infini, cette nouvelle image de la réalité. Comprendre que le monde n'est pas ce que nous pensons ; oser penser qu'il est impensable et il se révèle être une merveille.

 

Alors sachons que nous pouvons transposer ce moyen d'investigation pour sonder les profondeurs de l'Homme. En effet, s'il ne fuit plus ses propres limites, mais au contraire leur fait face et s'y plonge, l'Homme pourra peut-être rencontrer cet autre en lui dont il a si peur et qui pourtant ne demande qu'à dialoguer avec lui en son âme. "L'âme est dialogue avec elle-même", disait Socrate. "Tout dialogue avec tout", écrivait Hegel. Alors comme dans toute dialectique qui comprend trois stades (thèse, antithèse, synthèse), l'individu pourra y confronter ses contradictions et ses paradoxes pour les dépasser et les réconcilier. Alors jaillira un "sentiment d'être" plus harmonieux : Liberté ?

 

Parce qu’est venu le temps où l'Esprit s'échappe de l'âme tourmentée. L'Esprit se reconnaît à ce qu'il est inaliénable, indestructible, immense, illimité, clair, lumineux et joyeux. Il domine tous les orages de l'existence et les souffrances de l'être. Il est la fine pointe de l'âme, identifié au coeur au Moyen Age. Il ne plie pas car il est la verticalité qui cherche à atteindre le centre. Il est la porte qui mène aux idées. L'âme, elle, est un "Moi" profond. En faisant usage d'esprit, nous pouvons dépasser ce "Moi" pour s'engager vers les autres et le monde. Et dépasser c'est aussi se libérer. L'âme n'est donc pas libératrice, parce qu'elle n'est que ce qui anime le corps, son pendant immatériel et sensible. De nature singulière, elle nous est attachée, mais ne nous permet pas cependant de raisonner. Il existe donc ce quelque chose en plus, qui est plus que la raison ou l'aptitude intellectuelle : il est l'Esprit qui englobe le Coeur. Qui conduit l'individu vers plus d’universel. Qui le rend libre.

 

"Seul est digne de la Vie et de la Liberté celui qui chaque jour part pour elle au combat", écrivait Goethe. La Liberté n'est donc pas ce beau concept intellectuel réservé qu'à une seule poignée d'élus. Elle s'expérimente et s'éprouve plutôt que se prouve. Si elle requiert beaucoup de courage, d'efforts répétés et de solitude passagère, elle est cependant une voie qui peut être empruntée par chacun de nous. Et plutôt que de discourir sur elle, le plus important consiste à lui donner naissance. Parce qu'elle ne peut se laisser sentir et savourer comme une belle victoire qu'après ce long et difficile "jeu dialogual" avec soi. Avec l'autre. Avec le grand Non et le grand Oui de la Vie. La Vie qui nous invite tous à devenir ses artistes car elle est cet Art Premier où tous les appelés peuvent être élus. Cependant, en chemin, la liberté peut déjà diffuser son parfum à chaque fois que nous nous soucions de nous par la réflexion et de l'autre par la sincérité et la générosité, que nous examinons notre âme sans complaisance, que nous nous bousculons et bousculons, que nous regardons à neuf, que nous accordons nos actes à nos paroles, que nous osons prendre tous les risques de dire, en dépit de tout, toute la vérité que nous pensons… Jusqu'à la mort ! Mourir debout plutôt que vivre à genoux !

 

Justement la liberté ne commence-t-elle pas aussi là où nous cessons de craindre la mort ? Socrate pourrait nous répondre que ce n'est pas la mort qui est redoutable. Mais le jugement que nous portons sur elle, à savoir qu'elle est redoutable, c'est cela qui est redoutable dans la mort. Mais plutôt que de mourir, surtout si ce n'est pas son heure, pourquoi ne pas parier sur la liberté et sauter dans l'infini. Quand nous avons une chance sur deux de gagner et que nous ne parions pas, nous défions la raison. Si nous gagnons, nous gagnons tout. Si nous perdons, nous ne perdons rien. Et si la peur semble nous y empêcher, n'oublions pas que celle-ci est la soeur du courage. Quel mérite aurait le héros s'il n'avait jamais peur ?

 

Aussi, cette recherche de liberté peut avoir comme but de rejoindre la communauté et d'éveiller le goût de la liberté chez les autres, comme le recommandait Albert Camus. Pour lui elle doit être également accompagnée de la Justice, sinon cela devient la sauvagerie du plus fort et ne permet pas que le bonheur atteigne aussi les plus "humbles". Le sentiment du bonheur d'exister n'est-il pas la seule justification à la vie humaine ?

 

La suite. Plus nous nous sentirons libres et moins nous nous sentirons menacés par cet Autre intérieur/extérieur. Alors le seul risque à venir ne sera-t-il pas plutôt celui de vouloir être encore plus libres ?

 

Et si la liberté est une cause perdue ? Nous partirons libres d'y avoir au moins crue !

 

 

"Vous serez vraiment libres non pas lorsque vos jours seront sans souci

et vos nuits sans désir ni peine, mais plutôt lorsque votre vie sera enrobée de toutes ces choses et que vous vous élèverez au-dessus d'elles, nus et sans entraves.

Ainsi en est-il de votre liberté qui, quand elle perd ses chaînes,devient elle-même

les chaînes d'une liberté plus grande encore". (Khalil Gibran)

 

 

 

Lectures :

- "Présent et avenir", C.G. Jung

- "Pensées", Pascal

- "Dialectique du maître et de l'esclave", Hegel

- "L'apologie de Socrate", Platon

- "L'âme ne libère pas, l'esprit oui", Texte de JF Caron

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M
Bonjour Jean-François,<br /> <br /> Est-ce parce que nous sommes malheureux que nous y pensons ou parce que nous y pensons que nous sommes malheureux ?
Répondre
J
<br /> <br /> Je pense qu'il faut penser au malheur pour le dépasser, mpais à l'inverse ne pas penser au bonheur car c'est déjà le condamner.<br /> <br /> <br /> <br />