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Les chemins de la culture

Philosophie, économie, politique, littérature, la culture rendue accessible à tous

Fuir le bonheur de peur qu'il ne se sauve...ou l'embrasser

Fuir-le-bonheur-de-peur-qu-il-ne-sauve.jpgLe bonheur n’est déjà plus dès lors que l’on en a pris conscience. Le bonheur repose avant tout sur l’absence de lucidité. C’est un état dont le sujet ne doit pas savoir ce qu’il est car sa découverte induit des questions quant à son objet : pourquoi suis-je heureux ? Est-ce que ce bonheur est sincère ou est-il la conséquence d’une situation illusoire dans laquelle je m’entretiens volontiers pour échapper à quelque chose ? Et cette échappée n’est-elle pas symptomatique d’un déni de soi, d’un refus d’identité qui pourtant me correspond mieux ? Admettons que ces interrogations me laissent de marbre et que je désire avant tout persévérer dans ce bonheur qui est le mien, la lucidité dont soudainement j’ai fait preuve ne m’abandonnera plus. Ainsi, au-delà de la critique, les questions s’évaporent peut-être mais il n’empêche qu’une angoisse s’installe, celle de perdre le bonheur qui m’anime en prenant conscience que ce que je vis ne durera pas. Soit parce que le bonheur résulte d’une relation et qu’ainsi je ne puis présager des réactions de celle ou de celui qui s’inscrit dans ce rapport. Soit parce que le temps use ce sentiment de bien-être pour le transformer en lassitude. Ou encore le hasard ou le destin, appelons-le comme nous voulons, se charge de donner à mon existence une dimension dramatique, ceci sans avertissement. Il y a donc comme une sensation qui nous transperce une fois le bonheur devenu un objet conscient, ou pour citer Lucrèce : « Au cœur de la source des plaisirs jaillit quelque chose d’amer qui au sein même des délices, vous reste dans la gorge. » (Dans la nature des choses – Lucrèce).

Faut-il alors fuir le bonheur de peur qu’il ne sauve, comme l’écrivit Serge Gainsbourg et le chanta Jane Birkin. Certainement pas. Le bonheur existe parce que la vie est désarmante et il s’agit là d’une condition du bien-être. Comment en effet apprécier un instant doux et charmant, ou bien une époque délicieuse, dans un monde sans altérité. On ne peut avoir l’impression de se sentir bien qu’en comparaison de moments douloureux. Autrement dit, le bonheur existe car le malheur existe aussi. La joie est possible parce qu’elle est passagère. Elle est une manifestation parmi d’autres de l’existence, et donc tire toute la valeur qu’on lui attribue en regard de ce qui lui est contraire. Le bonheur est un intermède. Il succède à un état et précède un autre, et ainsi l’homme n’est pas contraint à vivre une émotion unique et continue qui le vouerai, comme l’énonce Schopenhauer dans Parerga et Paralipomena, à un ennui mortel : « Placez cette race dans un pays de Cocagne, où tout croîtrait de soi-même, où les alouettes voleraient toutes rôties à portée des branches, où chacun trouverait aussitôt sa bien-aimée et l’obtiendrait sans difficulté, alors on verrait les hommes mourir d’ennui, ou se pendre, d’autres se quereller, s’égorger, s’assassiner et se causer plus de souffrances que la nature ne leur en impose maintenant. ».

Il ne faut donc pas renoncer au bonheur car il est une expression de la vie et s’en détourner, c’est déjà un peu mourir. Mais il faut cependant admettre qu’il est temporaire, ce qui rend la lucidité d’autant plus nécessaire pour le faire durer le plus longtemps possible, mais aussi pour réunir les conditions d’un bonheur prochain, même si celui-ci ne sera jamais que probable.

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