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Les chemins de la culture

Philosophie, économie, politique, littérature, la culture rendue accessible à tous

Penser la sexualité et considérer la solitude avec Rainer Maria Rilke

Rilke.jpgToute création est un enfantement lorsqu’elle prend sa source dans la plus profonde intimité. Cette création est aussi l’effet d’une force que nous pourrions, à la manière de Rainer Maria Rilke, nommer maternité. Elle nous concerne tous, ce que nous dit le poète dans une des lettres adressées à un jeune poète : « La beauté d’une vierge, d’un être « qui n’a rien encore accompli » (comme vous dites si joliment) est maternité qui se pressent et se prépare, s’inquiète et languit. La beauté de la mère est maternité qui se dévoue, et, chez la vieille femme, on trouve une grande mémoire. La maternité est chez l’homme aussi, me semble-t-il, charnelle et spirituelle ; la création masculine est elle aussi une sorte d’accouchement, et c’est un enfantement lorsqu’il crée à partir de sa plénitude la plus intime. » Cette intimité pour autant appelle la solitude, non pas celle qui est un sentiment ressenti avec l’absence d’autrui, mais une autre qui est une plongée en soi. Cette plongée est au commencement une série de questionnements sans réponse parce qu’il faut du temps pour s’accorder avec des interrogations les plus personnelles. La patience alors est de rigueur, ce que conseille Rilke à son jeune ami : « Vous êtes si jeune, en quelque sorte avant tout début, et je voudrais, aussi bien que je le puis, vous prier, cher Monsieur, d’être patient à l’égard de tout ce qui dans votre cœur est encore irrésolu, et de tenter d’aimer les questions elles-mêmes comme des pièces closes et comme des livres écrits dans une langue fort étrangère. Ne cherchez pas pour l’instant des réponses, qui ne sauraient vous être données car vous ne seriez pas en mesure de les vivre. Or il s’agit précisément de tout vivre. Vivez maintenant les questions. » La question est donc  une nécessité pour se construire un peu plus avec la réponse qu’elle sous-tend ; on avance guère sans s’interroger. Mais répondre immédiatement, rapidement, brutalement, parce que peut-être trop pressé, ou alors malaisé par des élans spirituels sans conclusion, produit une mésentente de soi avec le monde, un désaccord qui trouble les belles choses jusqu’à l’aveuglement, et celles-ci alors ne sont plus que le support d’expériences faussées. Rainer Maria Rilke nous parle de la sexualité pour illustrer cette idée, nous la présentant comme une pratique aujourd’hui par trop écartée de la nécessité vitale qu’elle représente, employée qu’elle est, selon lui, à des fins précises au lieu d’être vécue comme le point culminant de notre contribution à la vie : « Le plaisir physique est une expérience sensible qui n’est en rien différente de l’intuition pure ou du sentiment pur dont un beau fruit comble la langue ; c’est une grande expérience, infinie, qui nous est accordée, un savoir du monde, la plénitude et la gloire de tout savoir. Et ce qui est mal, ce n’est pas que nous ressentions ce plaisir ; ce qui est mal c’est que presque tout le monde mésuse de cette expérience et la dilapide, en fait un excitant pour faire pièce aux moments de lassitude qu’ils vivent, en fait une distraction au lieu qu’elle rassemble notre existence en vue de ses acmés. » La vie ainsi est un élan ; elle nous conduit au-devant de toute chose, tant par le corps que par l’esprit. Il ne faut pas s’éviter à s’élancer, mais il ne faut pas non plus le faire sans point stable et durable, c’est-à-dire avec soi-même, ce moi que l’on cultive dans la solitude. Cette dernière n’est pas l’ennemie qu’un vacarme ambiant suppose. Elle est au contraire une alliée, qui de toutes les façons nous concerne chacun et c’est bien souvent avec des artifices qu’on l’a déconsidère. La solitude n’est pas un néant, mais bien le point de départ puis un soutien pour vivre sereinement toute étrangeté inhérente à toute nouveauté, laquelle est un ingrédient nécessaire pour une existence pleinement vécue. Il faut bien être étranger de bien des choses pour en découvrir le plus possible.

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