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Les chemins de la culture

Philosophie, économie, politique, littérature, la culture rendue accessible à tous

Extrait de Traité de la nature humaine - Hume - Du rôle de l'expérience dans la conscience

Traite-nature-humaine-hume.jpgIl y a certains philosophes qui imaginent que nous sommes à tout moment intimement conscients de ce que nous appelons notre moi, que nous sentons son existence et sa continuité d’existence, et que nous sommes certains, d’une certitude qui va au-delà de l’évidence de la démonstration, aussi bien de sa parfaire identité que de sa parfaite simplicité. La plus forte sensation et la plus violente passion, disent-ils, au lieu de nous distraire de cette vue, ne font que l’établir plus intensément, et elles nous font considérer leur influence sur le moi, soit par leur douleur, soit par leur plaisir. Tente de le prouver davantage, ce serait en affaiblir l’évidence, puisqu’aucune preuve ne peut être tirée d’aucun fait dont nous soyons aussi intimement conscients, et il n’est rien dont nous puissions être certains si nous doutons de cela.

Malheureusement, toutes ces assertions positives sont contraires à l’expérience même qu’on allègue en leur faveur ; et nous n’avons aucune idée du moi, de la manière ici expliquée. En effet, de quelle impression cette idée pourrait-elle être tirée ? Il est impossible de répondre à cette question sans contradiction ni absurdités manifestes ; et pourtant, c’est une question à laquelle il faut nécessairement répondre si nous voulons que l’idée de moi passe pour claire et intelligible. Il faut bien qu’il y ait quelque impression qui donne naissance à toute idée réelle. Mais le moi, ou personne, n’est pas une impression, mais c’est ce à quoi sont supposées se rattacher nos différentes impressions et idées. Si une impression donne naissance à l’idée du moi, cette impression doit demeurer invariablement la même durant le cours entier de notre vie, puisque le moi est supposé exister de cette manière. Mais il n’existe aucune impression constante et invariable. Douleur et plaisir, chagrin et joie, passions et sensations se succèdent les uns aux autres, et ils n’existent jamais tous en même temps. Ce ne peut donc être d’aucune de ces impressions, ni d’aucune autre que l’idée du moi est dérivée, et, par conséquent, une telle idée n’existe pas.

[…] Pour ma part, quand j’entre le plus intimement dans ce que j’appelle moi-même, je bute toujours sur quelque perception particulière ou sur une autre, de chaud ou de froid, de lumière ou d’ombre, d’amour ou de haine, de douleur ou de plaisir. Je ne peux jamais, à aucun moment, me saisir moi-même sans une perception, et jamais je ne puis observer autre chose que la perception. Quand mes perceptions sont supprimées pour un temps, comme par un sommeil profond, aussi longtemps que je suis sans conscience de moi-même, on peut vraiment dire que je n’existe pas. Et si toutes mes perceptions étaient supprimées par la mort, et que je ne puisse ni penser, ni sentir, ni voir, ni aimer, ni haïr après la dissolution de mon corps, je serais entièrement annihilé, et je en conçois pas ce qu’il faudrait de plus pour faire de moi une parfaite non-entité. Si quelqu’un, à partir d’une réflexion sérieuse et sans préjugé, pense qu’il a une notion différente de lui-même, je dois avouer que je ne puis raisonner plus longtemps avec lui. Tout ce que je peux lui accorder, c’est qu’il peut avoir raison aussi bien que moi, et que nous différons essentiellement sur ce point. Il peut peut-être percevoir quelque chose de simple et de continu, qu’il appelle lui-même, mais je sois certain qu’il n’existe pas un tel principe en moi.

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