10 Janvier 2017
Nous vivons aujourd’hui une période de l’histoire économique sans comparaison avec les précédentes, tel est le constat développé par Daniel Cohen dans son dernier ouvrage, Le monde est clos et le désir infini. Nous sommes en effet dans l’ère de la croissance nulle alors que dans le même temps, nous vivons et participons à une révolution majeure, celle du numérique. Les nouvelles technologies ne cessent de progresser et sont devenues omniprésentes dans notre quotidien. Pourtant rien n’y fait. Même si nous sommes capables de produire toujours plus avec moins de moyens des produits et des services qui évoluent techniquement à une rapidité croissante, l’activité économique des pays riches est entrée dans la morosité sans signe d’une sortie probable et prochaine. Daniel Cohen nous dit que la croissance économique, apparue véritablement il y a deux siècles, sous l’impulsion des révolutions tant politiques qu’industrielles, n’a fait que s’essouffler jusqu’à nos jours pour s’épuiser. La croissance n’est plus…et cependant le désir demeure. L’homme est ainsi fait qu’il a toujours des besoins. Le problème, c’est que ces besoins sont relatifs. Il y a toujours pour quiconque l’exemple de faire mieux, d’avoir plus que son voisin. La richesse n’a rien d’absolu, elle s’apprécie par rapport aux autres. Tant que la croissance économique était installée comme un horizon perpétuel, cette quête de la satisfaction du besoin trouvait une issue possible et plausible. Mais dès lors que la crise économique s’installe durablement jusqu’à devenir la norme, une fois qu’il est admis que l’économie ne progressera plus jamais comme avant, la défiance, voire l’angoisse, s’installe puisque le besoin n’a plus la croissance pour être satisfait et ainsi disparaître.
La société bien évidemment est impactée par le nouveau paradigme économique décrit par Daniel Cohen. Celui-ci nous explique à ce propos que le marché du travail s’en trouve transformé. Paradoxalement, ce ne sont pas les postes les moins qualifiés qui sont les plus touchés par les évolutions numériques, mais les emplois dits intermédiaires, ceux dont les tâches sont plus facilement automatisables et intégrables dans un environnement tout informatisé. Ensuite, le progrès technologique induit une hausse des inégalités salariales car le fossé se creuse entre ceux qui sont à l’origine et qui maîtrisent les nouvelles technologies, et les autres qui n’y participent pas et se trouvent plus à en subir les effets. L’innovation certes repousse les limites de la croissance économique, mais aujourd’hui elle a un coût : l’augmentation des inégalités dans les pays riches. S’agissant des économies émergentes, Cohen fait le constat que leur développement économique tend vers une réduction globale de la pauvreté. Mais là-aussi, cela n’est pas sans coûter, ici sur un plan écologique. On ne peut pourtant pas condamner la volonté des pays émergents à progresser économiquement. Globalement, les populations concernées en tirent un bénéfice, avec un accroissement de leur niveau de vie.
Le besoin, que l’économie soit riche ou émergente, est partout un moteur. Il n’y pas de fin au désir. On peut toujours vouloir plus, ce qui est le cas, surtout sur matériellement. Keynes en son temps pensait que la productivité croissante nous libèrerait des préoccupations matérielles et ainsi pourrions-nous nous consacrer à des activités exclusivement spirituelles, moins épuisantes pour la planète et pour les hommes. Force est de constater qu’il avait tort, conclusion que l’on peut aisément formuler avec Daniel Cohen. Celui-ci pourtant ne désespère pas tout en restant lucide. Il reconnaît à la croissance économique une nécessité culturelle qui fait la civilisation. Cette croissance doit exister, mais atteinte et vécue différemment, en renonçant au primat de la quantité avec l’accumulation du capital, pour plus de qualité.