8 Janvier 2017
Les inégalités sous-entendent la représentation que l’on se fait de la justice. Une inégalité en soi n’est pas une mauvaise chose. Elle le devient quand elle est injuste. Penser que toute inégalité serait à éradiquer reviendrait à tomber dans un égalitarisme dangereux…
Thomas Piketty nous apprend, dans son essai Le capital au XXIe siècle, que depuis les années 1970 la répartition des richesses s’est transformée, avec une concentration des patrimoines qui profite aux revenus du capital. Ceux-ci ont retrouvé les niveaux qu’ils avaient atteints à la fin du XIXème siècle, début XXe, avant d’être érodés par les grands chocs politiques et économiques de la première moitié du siècle dernier. Ainsi, la question d’une croissance équitable est à remettre au centre du débat. Faut-il croire qu’elle puisse sur le long terme être équilibrée, et si oui quelles sont les conditions de cette équilibre ? La pensée économique ne doit pas se soustraire à ce type de questionnement essentiel, en se perdant notamment dans des réflexions stériles car trop abstraites, se complaisant dans un certain académisme bien trop distant du réel.
Les inégalités sont un sujet primordial puisque s’y jouent les rapports existants au sein d’une société. Le débat n’est donc pas uniquement économique, il est aussi et surtout social. Le phénomène des inégalités est donc à étudier pour former ensuite un projet politique visant à les réduire. On combat mieux ce que l’in connaît ! Thomas Piketty, dans son livre, décrit la dynamique à l’œuvre en matière de répartition des richesses, laquelle selon lui prend sa source en deux points : le patrimoine et le revenu. Sa réflexion, il l’entreprend à partir de données fiscales qui permettent de disposer d’une perspective à long terme. On comprend ainsi que la fiscalité n’est pas seulement vouée à la collecte de l’impôt. Elle se caractérise aussi par une dimension historique qui sert la transparence démocratique. Elle nous renseigne entre autres sur le poids de l’héritage dans le capital global etg son évolution dans le temps, distinction importante car les inégalités patrimoniales sont différentes selon qu’elles résultent de la succession ou de l’épargne acquise grâce au travail.
Pour Thomas Piketty, les inégalités ne sont pas naturelles mais historiques. La fatalité ou toute autre nécessité ne commande pas la répartition des richesses, laquelle d’ailleurs a pu profiter aussi bien au capital qu’au revenu. Sur un plan structurel, des forces sont à l’œuvre, générant des mouvements de convergence, ou de divergence, entre capital et revenu pour recevoir les fruits de la croissance. D’après l’auteur, la convergence est possible grâce à la diffusion des connaissances et à l’investissement dans la formation. La croissance des savoirs est riche d’avenir. Elle permet d’améliorer la productivité, donc les revenus futurs du travail. Ce dessein vertueux n’a cependant rien de spontané. La politique est nécessaire pour l’initier, avec des actions dirigées vers l’éducation et le développement des qualifications au profit des salariés.
A l’inverse, une faible progression de l’activité productive et une hausse des taux de rendement du capital tendent à une plus grande concentration du capital, donc à plus d’inégalités tant au niveau du patrimoine que du revenu. On constate par ailleurs que le décrochage toujours plus élevé des hautes rémunérations par rapport aux salaires moyens et médians entretient une spirale inégalitaire. Aux Etats-Unis, le décile supérieur en matière de rémunération représente aujourd’hui 45% à 50% du revenu national, soit le retour à des proportions équivalentes à celles des années 1910 et 1920 après que cette part ait diminué sensiblement durant les Trente Glorieuses, s’établissant alors autour de 30 à 35%. Schématiquement, cette évolution est représentée par une courbe en forme de U, tout comme l’est le rapport entre capital et revenu. En effet, fin XIXème siècle, début XXe, le patrimoine total représentait 6 à 7 années de revenu national, puis 2 à 3 années après la première guerre mondiale, pour à partir des années 1970 correspondre à 5 et 6 années de revenu.
La différence entre le taux de rendement du capital et le taux de croissance économique est donc essentielle pour l’analyse des inégalités. Si le premier est plus élevé que le second, et si l’écart entre les deux se confirme et perdure, les inégalités patrimoniales seront croissantes et celles du revenu avec. L’économie dans son ensemble sera plus fortement empreinte du passé avec un capital qui s’entretient grâce aux successions, ce qui n’est pas sans affaiblir tout système démocratique dont l’un des fondements repose sur la méritocratie. Thomas Piketty nous dit qu’à propos de l’écart entre rendement du capital et croissance de la production, ceci n’est nullement une imperfection de marché mais résulterait plutôt de son efficience. Ainsi, même si l’économie de marché autorise la liberté d’entreprendre, protège la propriété, confère à chacun les mêmes droits, elle n’est pas spontanément garante d’une société plus juste.