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Les chemins de la culture

Philosophie, économie, politique, littérature, la culture rendue accessible à tous

Extrait de Ethique - Spinoza - Entre le corps et l'âme...

Spinoza-Ethique.jpgPersonne, en effet, n’a déterminé encore ce dont le corps est capable ; en d’autres termes, personne n’a encore appris de l’expérience ce que le corps peut faire et ce qu’il ne peut pas faire, par les seules lois de la nature corporelle et sans recevoir de l’âme aucune détermination. Et il ne faut point s’étonner de cela, puisque personne encore n’a connu assez profondément l’économie du corps humain pour être en état d’en expliquer toutes les fonctions ; et je ne parle même pas ici de ces merveilles qu’on observe dans les animaux et qui surpassent de beaucoup la sagacité des hommes, ni de ces actions des somnambules qu’ils n’oseraient répéter durant la veille : toutes choses qui montrent assez que le corps humain, par les seules lois de la nature, est capable d’une foule d’opérations qui sont pour l’âme jointe à ce corps un objet d’étonnement. Ajoutez encore que personne ne sait comment et par quels moyens l’âme meut le corps, ni combien de degrés de mouvement elle lui peut communiquer, ni enfin avec quelle rapidité elle est capable de le mouvoir. D’où il suit que, quand les hommes disent que telle ou telle action du corps vient de l’âme et de l’empire qu’elle a sur les organes, ils ne savent vraiment ce qu’ils disent, et ne font autre chose que confesser en termes flatteurs pour leur vanité qu’ils ignorent la véritable cause de cette action et en sont réduits à l’admirer. Mais, diront-ils, que nous sachions ou que nous ignorions par quels moyens l’âme meut le corps, nous savons du moins par expérience que si l’âme humaine n’était pas disposée à penser, le corps resterait dans l’inertie. Notre propre expérience nous apprend encore qu’un grand nombre d’actions, comme parler et se taire, sont entièrement au pouvoir de l’âme, et par conséquent nous devons croire qu’elles dépendent de sa volonté. Je répondrai en demandant à mon tour, premièrement, si nous ne savons pas par expérience que l’âme est incapable de penser quand le corps est dans l’inertie ; car enfin, aussitôt que le corps est endormi, l’âme ne tombe-t-elle pas dans le sommeil ? Et conserve-t-elle le pouvoir de penser qu’elle avait durant la veille ? Ce n’est pas tout ; je crois qu’il n’est personne qui n’ait éprouvé que l’âme n’est pas toujours également propre à penser à un même objet ; mais à mesure que le corps est mieux disposé à ce que l’image de telle ou telle chose soit excitée en lui, l’âme est plus propre à en faire l’objet de sa contemplation. On répondra sans doute qu’il est impossible de déduire des seules lois de la nature corporelle les causes des édifices, des peintures et de tous les ouvrages de l’art humain, et que le corps humain, s’il n’était déterminé et guidé par l’âme, serait incapable, par exemple, de construire un temple. Mais j’ai déjà montré que ceux qui parlent ainsi ne savent pas ce dont le corps est capable, ne ce qui peut se déduire de la seule considération de la nature ; et l’expérience leur fait bien voir que beaucoup d’opérations s’accomplissent par les seules lois de la nature, qu’ils auraient jugées impossibles sans la direction de l’âme, comme les actions que font les somnambules en dormant et dont ils sont tout étonnés quand ils se réveillent.

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