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6 Février 2011
Trop d’existence. Trop d’être. Trop plein de tout. Gavé comme une oie, Roquentin a la nausée. Tout est de trop, en souffrance. La volonté de puissance n’est qu’un leurre selon lui. La vie n’est pas animée d’une intention de croître, elle n’est que survie. Et lui, Antoine Roquentin, jeune homme esseulé, il est là, au milieu de tout çà sans que personne ne lui dise pourquoi. Au contraire, les autres s’illusionnent à se croire quelqu’un, à avoir des droits, alors que l’existence n’est que gratuité. Ils s’inventent des destins pour se cacher cette contingence qu’il ne saurait voir : « Il y a des gens, je crois, qui est compris çà. Seulement ils ont essayé de surmonter cette contingence en inventant un être nécessaire et cause de soi. Or aucun être nécessaire ne peut expliquer l’existence : la contingence n’est pas un faux semblant, une apparence qu’on peut dissiper ; c’est l’absolu, par conséquent la gratuité parfaite. Tout est gratuit, ce jardin, cette ville et moi-même. […] Tout existant naît sans raison, se prolonge par faiblesse, meurt par rencontre. » Le pire, c’est que les autres font de leur soi-disant nécessité un spectacle, dans des restaurants ou des cafés par exemple, ou encore la représentent, sur des tableaux. Pour Roquentin, ce sont des salauds…Que faire alors de ces comédies d’avant-scène qui se perdent dans le tragique de l’absurde en toile de fond ? Pour s’éviter la nausée, Roquentin essaie de s’oublier, de ne plus être, sans se suicider pour autant car ce serait se donner cette importance qu’il condamne. Mais on n’échappe pas à la conscience. On peut ne plus dire « je », mais il faut toujours de la conscience pour nier. Il faut vivre avec. S’engager alors dans une voie, se projeter ? Ce serait encore créer de l’existence pour Roquentin, lui qui considère qu’ « il y a bien assez d’existence comme çà ». Alors quoi ? Le héros sartrien trouve un début de réponse après avoir épuisé le monde avec une lucidité obstinée. Quelques notes de musique, une petite mélodie, lui apportent un soutien métaphysique : « C’est comme moi qu’il faut être ; il faut souffrir en mesure. » Le temps peut bien passer, le présent s’évanouir perpétuellement dans le passé pour toujours recommencer, la mélodie reste, comme une essence. Avant Sartre, Nietzsche l’avait déjà dit : sans musique, la vie serait une erreur. Mais pour Roquentin, perdu au milieu de nulle-part, cette musique est avant tout un point d’ancrage, comme un point de départ qui lui permettra peut-être d’avancer. Telle pourrait être la leçon que Sartre nous adresse avec La Nausée : trouver son point de départ.