Philosophie, économie, politique, littérature, la culture rendue accessible à tous
3 Octobre 2010
La pensée est l'ultime ressource dont l'homme dispose pour exercer sa liberté. D'où l'importance de la langue et particulièrement les mots qui la composent car ce sont eux qui permettent à toute idée d'être intelligible et structurée. C'est ainsi que Georges Orwell fait de ces deux notions, le vocabulaire et la pensée, les points de contrôle du Parti unique qu'il décrit dans son roman, 1984. Ce livre, écrit fin des années quarante, fait état d'un monde totalitaire qui a réduit l'homme au statut d'unité d'un ensemble omnipotent, matérialisé sous l'appellation de Big Brother. Toute liberté individuelle y est bannie au profit d'un collectivisme exarcébé et conditionné par une seule force politique. Aucun écart d'opposition n'y est autorisé, la sanction pouvant se traduire jusqu'à la mise à mort. Le Parti unique ne contrôle pas uniquement les moindres faits et gestes de ses administrés. La pensée de chacun est également sous la surveillance d'une police dont le rôle est de discerner tout comportement suspect motivé par une idée subversive. C'est sur ce terrain que le Parti unique veille le plus. La matière conquise depuis plusieurs décennies n'est d'ailleurs plus une préoccupation majeure. La conscience par contre peut être un sanctuaire de l'auto-défense face à la mainmise de Big Brother. Ainsi, les apparatchik travaillent en permanence sur la création d'une nouvelle langue dont le vocabulaire est réduit à quelques expressions factuelles. La réflexion, qui est la matière de la critique, n'a donc plus les moyens de s'entretenir.
Le passé est également manipulé. Le totalitarisme, qui se préserve dans l'immobilisme, déteste donc le mouvement. Il faut donc stopper un quelconque sens de l'histoire, toute tentative du progrés. La mémoire collective en 1984 est révisée continuellement en fonction des évènements qui menaceraient l'intemporalité désirée par Big Brother. La manipulation est poussée à l'extrême car outre la réécriture du passé, le Parti unique s'attache à ce que toute perception du mensonge soit totalement annihilée. Big Brother est ainsi allé jusqu'à inventer la mutabilité du souvenir, acceptée de tous car inscrite dans un inconscient collectif.
La machine n'est cependant pas infaillible. Parfois certains essaient de se soustraire au résignement général. Il arrive que la personnalité résiste à l'embrigadement. Un sentiment totalement désinteressé qui n'est qu'une forme de morale n'y est pas entièrement dissous. Le héros imaginé par Orwell est de cet acabit, animé par le questionnement qui constitue le dernier acte de résistance dans ce monde séquestré. Le Parti unique aura cependant raison de lui lorsqu'il sera arrêté, puis torturé. Ses tortionnaires appliqués useront de tous les moyens possibles pour détruire la personnalité, en la mettant notamment en situation face à ses peurs les plus intimes. L'homme sera alors définitivement broyé lorsque une fois l'acquiescement devenu chez lui naturel, il en vient à éprouver un sentiment d'amour pour son bourreau, Big Brother.