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Les chemins de la culture

Philosophie, économie, politique, littérature, la culture rendue accessible à tous

Quelques Pensées de Blaise Pascal expliquées et commentées

Pensees.Pascal.jpg« Le monde juge bien des choses, car il est dans l’ignorance naturelle, qui est le vrai siège de l’homme. Les sciences ont deux extrémités qui se touchent. La première est la pure ignorance naturelle où se trouvent tous les hommes en naissant. L’autre extrémité est celle où arrivent les grandes âmes, qui, ayant parcouru tout ce que les hommes peuvent savoir, trouvent qu’ils ne savent rien, et se rencontrent en cette même ignorance d’où ils étaient partis ; mais c’est une ignorance savante qui se connaît. Ceux d’entre deux, qui sont sortis de l’ignorance naturelle, et n’ont pu arriver à l’autre, ont quelque teinture de cette science suffisante, et font les entendus. Ceux-là troublent le monde, et jugent mal de tout. Le peuple et les habiles composent le train du monde ; ceux-là le méprisent et sont méprisés. Ils jugent mal de toute chose, et le monde en juge bien ». (PascalPensées, B327).

Tout être naît dans l’ignorance. Et finit avec elle, semble nous dire Pascal. Ce serait faire acte de vanité que de prétendre le contraire. L’homme est certes doué de raison, mais celle-ci n’est pas suffisante pour scruter la totalité du monde. Tout au plus peut-on s’efforcer chaque jour d’en connaître un peu plus que la veille, mais une vie n’est pas suffisante pour tout embrasser. Telle est la condition humaine qui se veut sachant ce temps durant où la mort n’est point encore survenue. Parmi ceux qui essaient de se soustraire à cette ignorance naturelle, on trouve, selon les mots de Pascal, les habiles. Ceux-là même savent que l’inconnaissance ne sera jamais abolie, et plus leur recherche avance, plus ils en sont convaincus. Le savoir qu’ils ont acquis leur a surtout appris l’humilité. Ils sont comme le peuple, dans l’ignorance, leur habileté se caractérisant par la capacité à ne pas être dupe, et leur intelligence par le fait de ne duper personne : « Il est donc vrai de dire que tout le monde est dans l’illusion car, encore que les opinions du peuple soient saines, elles ne sont pas dans sa tête, car il pense que la vérité est où elle n’est pas. La vérité est bien dans leurs opinions, mais non pas au point où ils se figurent. Ainsi il est vrai qu’il faut honorer les gentilshommes, mais non pas parce que la naissance est un avantage effectif, etc. ». (PascalPensées, B335).

De tous ceux qui prétendent à la science ou à la lumière, certains n’ont pas la lucidité requise. Ce sont, selon Pascal, les demi-habiles et les dévots : « Le peuple honore les personnes de grande naissance. Les demi-habile les méprisent, disant que la naissance n’est pas un avantage de la personne, mais du hasard. Les habiles les honorent, non par la pensée du peuple mais par la pensée de derrière. Les dévots qui ont plus de zèle que de science les méprisent, malgré cette considération qui les fait honorer par les habiles, parce qu’ils en jugent par une nouvelle lumière que la piété leur donne. Mais les chrétiens parfaits les honorent par une autre lumière supérieure. Ainsi vont les opinions succédant du pour au contre, selon qu’on a de la lumière ». (Pensées, B337). Les demi-habiles, sous couvert d’une érudition dont ils pensent être seuls détenteurs, critiquent le peuple, raillent sa façon de se divertir et de se conformer à la hiérarchie sociale. Pour autant ils se trompent en pensant de la sorte car c’est le peuple, sans le savoir, à la différence des habiles, qui a raison. En effet, l’homme condamné à mourir a besoin de se divertir. A défaut de divertissement, l’existence ne serait qu’une attente de la mort. Ensuite, l’instinct humain n’est pas la sociabilité mais la sécurité. C’est donc conventionnellement qu’il se soumet à un ordre social seul garant de la paix civile : « Que l’on a bien fait de distinguer les hommes par l’extérieur, plutôt que par les qualités intérieures ! Qui passera de nous deux ? Qui cédera la place à l’autre ? Le moins habile ? Mais je suis aussi habile que lui, il faudra se battre sur cela. Il y a quatre laquais, et je n’en ai qu’un : cela est visible ; il n’y a qu’à compter ; c’est à moi de céder, et je suis un sot, si je le conteste. Nous voilà en paix par ce moyen ; ce qui est le plus grand bien ». (Pensées, B319).

Les pseudo-habiles sont en quelque sorte des imposteurs. Ils ne sont ou non pas su aller plus loin dans leur poursuite de la vérité, mais cela ne les empêche pas de se présenter comme des savants à l’abri des illusions. Ils donnent la leçon bien qu’ils ne sachent pas lire entre les lignes, ne disposant pas d’aptitude à la lucidité, ni à la dérision, qui caractérise les habiles. Ils n’ont pas selon la terminologie pascalienne de pensée de derrière : « Il faut avoir une pensée de derrière, et juger de tout par là, en parlant cependant comme le peuple ». (Pensées, B336).

Ainsi, le peuple agit comme il se doit mais il a tort en croyant déceler la vérité dans l’objet de ses actes. Il pense par exemple que le lièvre qu’il poursuit motive son comportement alors que c’est le caractère divertissant de la chasse qui le pousse à agir de la sorte. Ses actions sont bien plus le fait de s’oublier, de s’affairer pour ne plus s’imaginer cette impasse existentielle au bout de laquelle seul il se dirige. La raison peut certes mettre en évidence cette erreur d’appréciation communément commise, mais pour autant est-elle suffisante pour illuminer un peu plus la conscience que de ce simple constat ? A moins que ce ne soit la foi qui puisse dépasser les limites d’une intelligence trop humaine ? Sur ce point, Pascal n’apprécie guère non plus les dévots qu’il compare aux demi-habiles lorsque, sous prétexte d’une religiosité revendiquée et d’une révélation dont ils seraient les seuls bénéficiaires, ils accordent peu de crédit au peuple. Les dévots considèrent le peuple comme incapable de recevoir seul le message divin et qu’en conséquence le péché, par méconnaissance, encadre leurs faits et gestes. Pascal leur oppose les chrétiens, assimilés aux habiles pour la science, pour qui Dieu n’est pas un livre à apprendre mais le sauveur d’une humanité dont le péché lui est intrinsèque. La marque de Dieu ne peut donc pas être politique, ni s’inscrire dans la cité. Les hommes sont entres-eux sur Terre jusqu’à ce que le divin les appelle. Le salut n’est pas décrétable par l’homme, tel est en substance le message de Pascal. Libre à chacun d’adhérer ou non à cette proposition.

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S
Les demi-habiles d'aujourd'hui ? Le monde politique, les individus prisonniers d'une idéologie politique ou politisée. Macron, Mélenchon, Trump, Obama, Merkel, Le Pen, Clinton, Hollande, May, Salvini, Cohn-Bendit, Sarkozy, Caroline de Haas, Taubira, Morano, Franz Olivier Giezbert, Christophe Barbier, Roland Cayrol, Edwy Plenel, Eric Zemmour etc etc etc...tous ont pour point commun d'être les demi-habiles du siècle actuel.
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P
Une des Pensées les plus géniales de l'indépassable Blaise Pascal, mais ne pas la mêler à celle (aussi géniale) sur le "divertissement", ce qui crée ici une certaine confusion. Bien distyinguer les "simples", les "habiles" et les "demi-habiles" qui, eux, gâtent tout.
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P
Une des Pensées les plus géniales de l'indépassable Blaise Pascal, mais il ne faut pas la mêler à celle (aussi géniale) suir le "divertissement", ce qui crée ici un peu de confusion Bien distinguer les "simples", les "habiles" et les "demi-habiles"qui, eux, gâtent tout.
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