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Les chemins de la culture

Philosophie, économie, politique, littérature, la culture rendue accessible à tous

La poésie pour sauver la langue de l'assèchement...ou quand Rousseau envisage les passions comme fondement de la parole

Le geste suffit à l’action pour que celle-ci se réalise. Mais s’agissant de la passion, il faut plus, c’est-à-dire la parole. L’action en effet est affaire d’extériorité ; elle se situe dans un rapport entre sujet et objet. La passion par contre est invisible à l’œil nu parce qu’elle se trouve en latence dans une intimité profonde. Seule la voix peut l’extérioriser, non pas en la rendant visible comme toute chose matérielle, mais en la transmettant d’une intériorité vers une autre. C’est ainsi que la langue tient bien plus son origine de la passion que du besoin, ce qu’explique Rousseau dans son Essai sur l’origine des langues : « Il est donc à croire que les besoins dictèrent les premiers gestes, et que les passions arrachèrent les premières voix. » Avec Rousseau, on peut penser que la langue fût d’ordre passionnel avant que d’être raisonnable. L’idée est que les premiers hommes créèrent la parole afin d’échanger ce qu’ils ressentaient en eux-mêmes. C’est par la suite que cette parole primitive autorisa la raison parce qu’il faut parler pour penser, même si l’inverse est vrai également. La poésie devança donc la géométrie, ou pour reprendre les termes de Rousseau : « Les fruits ne se dérobent point à nos mains ; on peut s’en nourrir sans parler : on poursuit en silence la proie dont on veut se repaître ; mais pour émouvoir un jeune cœur, pour repousser un agresseur injuste, la nature dicte des accents, des cris, des plaintes. Voilà les plus anciens mots inventés, et voilà pourquoi les premières langues furent chantantes et passionnées avant d’être simples et méthodiques. » Rousseau semble regretter cette époque où la parole n’était encore qu’une expression passionnée. La langue primitive, au sens général du terme car elle n’était certainement pas unique, s’est en effet rationnalisée pour devenir technique. Le besoin s’est rapproprié la parole pour en faire un objet utile. Avec Rousseau, l’on peut penser qu’instrumentaliser la langue à des fins utilitaristes revient à l’appauvrir, à lui faire perdre de sa substance originelle pour ce qui est d’être plus chantante qu’argumentant. Avec la poésie, il est peut-être encore possible, dans un monde où la machine domine, d’éviter à la langue de s’assécher totalement.

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