Philosophie, économie, politique, littérature, la culture rendue accessible à tous
11 Décembre 2010
Marx disait de l'argent qu'il est « l'équivalent universel ». En effet, il s'échange contre n'importe quoi, et avec l'échange il donne un prix à ce qui est échangé. Tout ce qui a un prix peut ainsi s'acheter, et tout ce qui peut s'acheter à un prix. Monnayer, c'est aussi transférer une propriété du vendeur à l'acheteur. L'argent permet donc de déplacer la possession et répond au besoin de l'homme à satisfaire un intérêt personnel. Si l'argent a tant d'importance dans le monde, c'est qu'il répond utilement à une tendance naturelle, soit l'égoïsme. L'homme, comme tout être vivant, est naturellement porté sur soi, sur sa sécurité, sa subsistance, puis plus tard sur son confort. Seule la culture peut permettre de contrarier cet élan naturel, tout du moins en partie. Même lorsqu'est accomplie une action au service des autres, il y a aussi la gratitude dont bénéfice l'auteur. On ne travaille pas non plus pour rien, en échangeant sa force de travail contre un salaire. Et même si l'on dit de son travail qu'il est intéressant, on l'apprécie non pas pour ce qu'il est, mais pour ce qu'il permet, c'est-à-dire de se réaliser.
Avec l'argent, l'être humain peut donc posséder. Pourquoi cette possession ? Pour la jouissance qu'il en retire. Posséder c'est jouir de quelque chose, le détenir à des fins personnelles. On souffre moins en détenant, où alors on pense un peu moins à souffrir. Posséder en effet occupe, mais un instant seulement. Une fois la chose obtenue, à soi, elle se découvre et perd de son intérêt , de son mystère, n'est plus désirable comme elle l'était lorsqu'elle venait à manquer. Il faut alors chercher autre chose, à condition d'en avoir les moyens, cela restant sinon au stade de l'envie. L'argent répond aux envies, mais il participe aussi de ces envies, en les attisant. Avoir de l'argent, c'est la possibilité de posséder ce qui nous n'avons pas encore. Il s'inscrit comme une projection vers quelque chose qui n'existe pas, l'avenir, et c'est pourquoi l'argent bouleverse tant les imaginaires. Il est un accès au possible, un échappatoire, y compris dans les têtes, à une réalité trop pesante. On peut toujours imaginer, cela n'a pas de prix, même si cela coûte en présence.
L'argent n'est pas un bien en soi. Il permet d'accèder à tous les autres, ce qui, nous l'avons dit, à un prix. Mais tout n'a pas de prix, et ce qui n'en a pas n'en a pas moins de valeur, au contraire, à condition d'en conserver le sens. L'argent essaie malgré tout de s'installer dans des espaces qui lui échappent, comme l'humain par exemple. Seule la volonté peut empêcher cette intrusion, car personne d'autre que l'homme ne commande de donner un prix à l'homme. Il a par contre la liberté de fixer des valeurs, tout en excluant l'argent, le laissant à la place qui est la sienne, comme un moyen et non une finalité. Faire de l'argent un but conduit à une impasse parce qu'il ne peut nous satisfaire. Certes sa puissance fascine. Il dépasse les frontières géographiques, se déplace à des vitesses qui nous échappent, n'est pas soumis à des contraintes physiologiques. Le corps a ses limites que l'argent ne connaît pas. On est satisfait lorsque l'on atteint quelque chose, lorsque l'on est repu après un bon repas, ce qui est impossible avec l'argent. En effet, en étant immatériel, il peut être possédé à l'infini, ce que l'homme n'atteindra jamais.
Soyons lucide, nous avons un rapport avec l'argent inévitable. Pauvre, il nous manque. Riche, nous en voulons toujours plus. Nous vivons aussi collectivement au sein d'un marché où l'argent est axial. L'économie de marché et le capitalisme ne sont pas non plus des idéologies, et c'est ce qui fait leur force. On adhère pas à l'argent, comme à une idée. La tradition populaire nous dit aussi que l'argent ne fait pas le bonheur, mais qu'il y contribue. Cela reste peut-être la meilleure attitude à adopter à son égard.