6 Octobre 2010
Les illusions bercent celui ou celle qui s'y complait jusqu'à ce que la réalité les emporte. Elles entretiennent la volonté de gouverner sa vie selon ses souhaits, de s'affranchir de toute contrainte déterministe, de se décider à obtenir ce que l'on ne possède pas. Les illusions n'en sont pas moins dangereuses parce qu'elles ne sont la cause d'aucun effet lorsqu'elles perdurent en l'état, contrairement à l'espoir plus salvateur lorsqu'il pousse à agir. L'illusion pèse de tout son poids en offrant un échappatoire sans effort face à une condition qui ne satisfait point. Mais cette échappée ne dure qu'un temps car en tant qu'idée, elle souffre bien vite de la réalité si cette dernière s'en écarte totalement. L'euphorie cède dès lors à l'incompréhension qui devient renoncement puis désespoir.
L'héroïne de Maupassant suit ce parcours douloureux tout au long de sa vie. On la découvre jeune femme se projetant dans des joies toutes entières à son service et qui, rattrapée dans ses envolées lyriques, se trouve réduite à une existence terne, puis malheureuse, trompée par l'amant qui une fois marié détourne le regard pour disposer d'un autre couche. La jeunesse l'ennivrait d'un avenir radieux que lui retireront les années passées. Même si cette dame est habituée à un environnement iodé depuis son enfance, elle ne saura contrer les vents contraires qui la frapperont de face. Le désenchantement est brutal et s'entretient chaque seconde qui passe, pour n'être plus qu'un manque permanent d'espoir.
Cette lente et profonde descente dans la nuit est magnifiquement écrite par Guy de Maupassant. Le lecteur devient un témoin proche de ce qui arrive à une âme qui ne connaît qu'un bonheur illusoire sans parvenir à le transposer dans son existence. L'auteur ponctue son récit d'allégories pour mieux figurer le monde sous un aspect enchanteur, comme pour mieux trancher ensuite sur le chagrin d'une femme emportée dans un tourbillon. L'évocation dans ce roman d'un coucher de soleil en est peut-être la plus belle illustration :
Les derniers souffles de vent tombèrent ; toute ride s'aplanit ; et la voile immobile était rouge. Une accalmie illimitée semblait engourdir l'espace, faire le silence autour de cette rencontre d'éléments ; tandis que, cambrant sous le ciel son ventre luisant et liquide, la mer, fiancée monstrueuse, attendait l'amant de feu qui descendait vers elle. Il précipitait sa chute, empourpré comme par le désir de leur embrassement. Il la joignit ; et, peu à peu, elle le dévora.