17 Septembre 2011
Voici une femme qui a commis un acte et qui ne comprend pas la raison de son geste. Pourquoi a-t-elle agi de la sorte, se demande-t-elle inlassablement ? C’est arrivé comme çà, pense-t-elle, sans plus de profondeur dans l’explication. Il y a bien, il est vrai, quelques indices. Thérèse Desqueyroux n’est pas heureuse ; mais un mal-être ne suffit pas à expliquer une action criminelle. Son milieu familial ne lui plaît guère non plus. Elle étouffe même. La famille peut être une pression difficilement supportable pour un esprit guère conformiste et peu enclin à adhérer aveuglément aux conventions. Thérèse manifestement a besoin d’air. Son esprit est une plaine morne et silencieuse qu’elle voudrait bruissant et ruisselante d’idées. La campagne l’asphyxie alors que la ville peut-être la sauverait. Paris…Et puis il y a Anne, son amie qui est plus que cela, celle avec qui des moments délicieux, de jeunesse, furent partagés. Thérèse souvent se souvient de cette époque où tout était possible, où le roman de sa vie n’en était encore qu’à l’introduction, avec pour chaque page plus d’espaces et de virgules que de points. Elle désirait pour elle un livre immense, avec de l’aventure, du rebondissement, du sentiment, de la passion, du risque, de l’évasion. Pourtant, c’est bien elle qui se réfugia très vite dans le mariage, comme pour entrer sans tarder dans son rang. La plume s’est alors asséchée. L’intrigue s’est limitée à quelques platitudes. Même lorsque Thérèse empoisonna son mari, la chose pour extraordinaire qu’elle soit, ne fût pour elle qu’une suite aux instants habituels, sans rupture. Aucun élan passionnel ne la poussa hors d’elle pour fonder son forfait. Thérèse en effet n’aime pas son époux, mais elle ne le hait pas non plus jusqu’à tenter de l’anéantir. Y’a-t-il alors une force étrangère qui la poussa vers l’irréparable ? Thérèse certes cherche à comprendre. N’est-elle pas d’ailleurs la mieux placée pour expliquer son geste ? Point de réponse cependant. Le silence. Son introspection bientôt devient sa prison, avec la complicité de son mari. Même Dieu ne lui est d’aucune utilité car elle n’est pas croyante, au contraire de sa belle-famille particulièrement pieuse et qui s’est toujours promise de ramener cette effrontée vers la dévotion. Sans foi, sans amour, sans réponse, il ne reste plus dès lors à Thérèse que le hasard : « Elle farda ses joues et ses lèvres, avec minutie ; puis, ayant gagné la rue, marcha au hasard. »