9 Septembre 2011
La pitié est comme un faux accord, une musique qui ne dit pas son genre mais dont la mélodie est lancinante semblable à une plainte sans fin. Ou alors elle est assourdissante, celui qui la ressent ne sachant pas en jouer silencieusement. Peut-on d’ailleurs en jouer ? On ne dispose pas de la pitié comme d’un instrument de musique. Elle est une passion qui assaille le cœur, et l’esprit s’en trouve d’autant plus préoccupé qu’elle est d’une intensité forte, comme il en va d’autres passions. La pitié est cependant singulière parce qu’elle est un sentiment immédiat dont l’écho est reportable dans le temps. En effet, elle peut être le déclencheur d’un contact qui se transforme en une relation, laquelle ensuite devient amicale, en apparence tout du moins, parce que le rapport humain dans ce cas est soutenu par la peine de l’un vis à vis de l’autre. Il y a comme une inégalité avec la pitié, même n’en est-il pas également de même à propos de l’amitié ? Toujours est-il que la pitié trompe son monde ; elle est un moteur à la mécanique très bien huilée mais dont le bruit résonne faussement. Il est alors des situations où la pitié jamais ne s’arrête en chemin, voire prend de la vitesse entraînée qu’elle est par certaines circonstances, précipitant les protagonistes dans un tourbillon où la maîtrise de soi est balayée. La volonté se disperse au fur et à mesure que la pitié s’élance de plus en plus vite pour être de plus en plus impérieuse. Les actes dès lors ne sont plus des décisions qui se réalisent mais le résultat d’un enchaînement passionnel. La machine est devenue infernale…Le héros de Stefan Zweig est pris dans cet enfer. Sa pitié est devenue dangereuse depuis le jour où il s’est accommodé d’une répulsion pour fonder une fréquentation. Dès lors, le piège s’est refermé sur lui, l’étau se resserrant inexorablement sur sa personne. Par sa seule pitié, il s’est emprisonné, mais il n’est pas seul. Il emporte tout son monde avec lui dans son cachot.