30 Octobre 2010
La carte et le territoire est un roman dans lequel l'auteur se livre, et nous donne sa vision du monde. Rien de bien original dirions-nous, sauf lorsque ce même auteur fait preuve d'une lucidité implaccable, avec un style clinique, et qu'il se raconte lui-même pas seulement par le truchement d'un héros de fiction, mais en étant aussi un personnage d'une histoire imaginée. La carte et le territoire est un livre autobiographique et pourtant à sa lecture, l'on se sent concerné. Michel Houellebecq nous dit en effet, à partir de ce qu'il est, ce qu'est le monde, et que l'on adhère ou non à sa représentation, on ne reste guère insensible à sa façon de procéder. D'abord, il est question d'un artiste qui est le personnage principal, Jed Martin, dont le succès sera croissant, et la fortune avec, en collant son art au plus près d'une société devenue exclusivement manufacturière et mercantile, en l'occurence la nôtre selon l'auteur. Tout n'est plus consacré qu'à l'utile et à la consommation. L'oeuvre de Jed Martin représente cette réalité, sans transformation, avec la photographie puis la peinture, dans un premier temps en photographiant des cartes Michelin, puis en peignant des métiers. Puis Houellebecq apparaît en personne, et le romancier écrit toute la distance qu'il a pris avec le monde des humains, ce qui ne va pas sans solitude, sans cynisme, ni désarroi peut-être. On pense qu'il va sombrer dans un nihilisme profond, duquel il ne sortira plus. C'est un peu le cas, mais un peu seulement car une flamme de vie brûle encore. Non pas qu'il s'agit d'un espoir renaissant, mais plutôt d'une sorte de consentement préservé du renoncement, Houellebecq écrivant toujours, d'une forme d'acceptation d'un monde désertique parce qu'il n'y a rien d'autre. Le désert devrait-il nous empêcher d'être ? Certainement pas, mais Houellebecq nous prévient que des choses nous échappent. Toutes les volontés humaines n'y suffisent pas. L'existence accorde bien un temps pour les promesses, puis vient le moment de les réaliser, jusqu'à comprendre que l'on ne maîtrise pas tout, que les promesses n'ont pas été tenues et qu'elles ne sont plus que des faits qui ne leur correspondent pas, ou peu. Il y a pourtant dans cet enchaînement fatal une place pour une certaine forme d'affirmation de la vie, et c'est avec l'autre que l'on trouve les moyens d'affirmer. Jed Martin-Houellebecq est aussi quelqu'un qui connaît pendant quelques temps l'amour, mais il laisse filer celui-ci, sans se battre, avec une certaine indifférence, comme s'il s'agissait là-aussi d'une fatalité de plus. Et même s'il est toujours possible que les ex-amants se retrouvent un jour, il est trop tard. La seconde chance n'existe pas pour l'auteur. Faut-il donc tout faire pour préserver la première ? Sans y répondre, Houellebecq met en scène un commissaire de police, qui vit un amour fidèle...
Pendant ce temps, comment va le monde ? Pris dans une machinerie productiviste, au service de la consommation de masse, où même l'art s'est laissé convaincre par les sirènes de l'argent ou ligotté par les cordons de la bourse, Houellebecq n'en prédit pas moins son déclin, avec peut-être l'anéantissement de l'espèce humaine. Seule la végétation, selon lui, restera. Pourquoi pas ?