28 Octobre 2011
L’ivresse peut être sans vin, mais elle a toujours une fin. Enivré, le monde n’est plus ce qu’il était avant que d’être ivre. Christine, l’héroïne du roman de Stefan Zweig, devient Christiane, puis Mademoiselle Van Boolen. La voici métamorphosée, grâce à l’argent d’une tante. La simple postière qu’elle fût, dont l’existence est plus le produit de circonstances qui la dépasse que le fruit d’une vie accomplie, avec quelques toilettes chèrement payées, une mine entretenue et la compagnie de richissimes parents, devient subitement une demoiselle fréquentable par une société qui échappe au désarroi général de l'entre-deux guerres. Pour la première fois, elle s’épanouit au sein d’un milieu qui lui était alors inconnue et dont elle ne soupçonnait même pas l’existence. Métamorphosée, elle s’enivre de tous, ceux-là même qui la considèrent comme l’une des leurs, et de tout ce qu’elle peut désormais atteindre. Mais l’ivresse nous l’avons dit, n’a qu’un temps. La métamorphose, pour rapide qu’elle fût, n’a rien de solide. Le désenchantement est alors aussi brutal que ne fût l’enivrement. Sans prévenir, Mademoiselle Van Boolen est chassée par Christine. L’argent sert à la réputation mais il ne suffit pas à protéger celle-ci de la rumeur. L’entre-deux guerres, avec toute la misère sociale qu’elle charrie, rattrape la jeune fille, mais cette fois-ci les choses pour elle ont changé. Son quotidien miséreux est désormais son ennemi après que des jours enchanteurs l’aient transportée. De toute sa pesanteur, le quotidien étouffe Madame Van Boolen pour que seule respire Christine ; de tout son poids il comprime cette vie qu’elle se sait capable de vivre à condition d’en avoir les moyens. Elle ne les as pas, pas plus que ce compagnon qu’elle rencontre et dont la condition, si misérable que la sienne, est le foyer de leur complicité, jusqu’au risque d’être leur tombeau. Mais les moyens, si on ne les possède pas, encore peut-il être possible de les prendre, cette prise sonnant alors le tocsin de la révolte contre l’absurdité d’une existence qui vous fuit.