12 Septembre 2011
« J’ai compris soudain qu’ils avaient raison de s’effrayer, ces militaires, d’éviter mon regard. Car je n’avais pas vraiment survécu à la mort, je ne l’avais pas évitée. Je n’y avais pas échappé. Je l’avais parcouru, plutôt, d’un bout à l’autre. J’en avais parcouru les chemins, m’y était perdu et retrouvé, contrée immense où ruisselle l’absence. J’étais un revenant, en somme. » Jorge Semprun, à Buchenwald, a traversé la mort. Puis il est revenu. Mais l’on ne revient pas comme cela de la mort pour reprendre, comme si de rien n’était, ce qui était avant d’avoir été jeté dans cette traversée. On revient chargé nous apprend Semprun, avec dans le regard cette mort qui a tout envahi, chaque espace, chaque corps, chaque âme, dans un camp pas très loin de Weimar où habita Goethe. Seule la mort ainsi limite Buchenwald. Point d’autre horizon. Seule la mort ainsi espace les secondes. Point d’autre unité de temps. Le Mal radical s’est installé dans l’espace et dans le temps. Il est un absolu qui dépasse chaque homme s’y trouvant plongé. On existe plus à Buchenwald. Toute personnalité y est dissoute. Le Mal radical empoigne toute expérience, avec la mort comme projet pour chacune d’elle. Jorge Semprun a plus que côtoyé la mort. Avec beaucoup d’autres, il l’a vécue. La mort pour eux n’était pas une angoisse, ou encore un objet réfléchi. Elle n’était pas éloignée d’eux comme elle l’est radicalement lorsqu’on la pense ordinairement. La mort était en eux, et ils l’a vécurent collectivement, fraternellement. Comment alors revenir à soi-même quand la mort gouverne tout ? Peut-on redevenir celui que l’on fut ou alors faut-il devenir un autre ? Le souvenir n’est-il pas d’un poids par trop démesuré pour tout avenir ? L’existence n’accepte-t-elle plus que de minces alternatives au lieu de laisser entrer toute la multitude de ce qui est possible ? Alternative peut-être, comme L’écriture ou la vie.