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7 Septembre 2011
Mirabeau meurt en 1791. Que serait devenue la Révolution française si celui qui la porta si haut, avec le verbe et sa verve, avait vécu quelques années de plus ? La République eut-elle été proclamée face à un tel adversaire ? Mirabeau ne voulût jamais d’un système républicain. Celui qui affirmait être l’homme du rétablissement de l’ordre, et non d’un rétablissement de l’ordre ancien, ne s’en prît jamais directement au Roi lorsque, devant la toute nouvelle Assemblée, il dénonçait l’injustice régnante au sein du Royaume de France. Ce sont les conseillers du monarque qui essuyèrent les foudres de cet orateur hors pair, de celui qui très vite devint le plus populaire des députés du Tiers-Etat. Mirabeau pourtant était un enfant de la noblesse, fils de marquis. Mais le rejeton ne plaît guère à son père. Physiquement d’abord, car le jeune homme n’est pas beau, cette laideur contrariant l’idéal esthétique tant valorisé par les nobles de son époque. Mirabeau n’en sera pas moins un séducteur infatigable. En outre, son attitude tranche avec les convenances et la bienséance de son rang. Il s’endette et déserte notamment l’armée. Ses frasques puis ses écarts lui valent un séjour en prison de trois ans. Cette incarcération, loin d’être un retrait sans fond, est pour Mirabeau une invitation à la lecture des penseurs de son temps. Emprisonné, il se forge intellectuellement sur le terrain des Lumières, avec Rousseau pour modèle. L’écriture s’empare également de lui et il rédige alors un essai sur le despotisme. Il y développe l’idée qui l’animera sans cesse politiquement, laquelle tend à considérer le Roi non plus comme le représentant de Dieu sur Terre, mais comme un homme au service de la population. La royauté pensée par Mirabeau devient ainsi une fonction publique, sans qu’il soit question de l’abolir. La souveraineté du peuple certes lui importe, mais pas l’instauration d’une république. Mirabeau souhaite pour la France des institutions calquées sur le modèle britannique, dont il est un fervent admirateur.
En 1789, les Etats généraux sont convoqués et ce pour la première fois depuis cent soixante quinze ans. Cette convocation est initialement motivée plus par des questions de finances publiques que de réformes sociales. Les Etats généraux sont la réunion des trois ordres : la noblesse, le clergé, le Tiers état. Chacun de ses ordres a auparavant élu ses représentants. Mirabeau en est un, mais au sein du Tiers état, et non auprès des nobles malgré ses origines. La noblesse en effet l’a rejetée compte tenu de son comportement par trop subversif aux yeux du conservatisme de son ordre, mais aussi parce qu’il n’est pas un possédant mais seulement un héritier potentiel. Elu du Tiers donc, Mirabeau très vite, comme d’autres représentants, s’insurge contre les modalités de vote des députés. En effet, la noblesse, le clergé, le Tiers état, sont tenus de délibérer séparément, le résultat de cette délibération étant constitutive du vote de chacun des ordres. Autrement dit, les deux premiers s’ils sont en phase l’emportent toujours devant le troisième, bien que le Tiers représente plus de quatre-vingt dix pour cent de la population en cette fin de XVIIIème siècle. Mirabeau refuse donc ce procédé délibératif et il entraîne avec lui ses compagnons parlementaires pour créer le 17 juin 1789, l’Assemblée Nationale, avec pour règle délibérante le vote par tête et non plus par ordre. Louis XVI n’accepte pas ce coup de force et ainsi ne reconnaît pas la toute nouvelle institution. Le Roi envoie alors une délégation auprès des députés du Tiers état pour les dissuader de se maintenir en assemblée déclarée nationale. C’est alors que Mirabeau, aux représentants du Roi, leur adresse ce message : « nous ne sommes ici que par la volonté de la Nation et nous ne quitterons nos places que par la force des baïonnettes ». La première grande voix de la Révolution vient de se faire entendre. C’est pour Mirabeau un tournant dans sa carrière politique. Le peuple l’approuve, puis l’adule, après que Louis XVI ait concédé que l’ensemble des députés des trois ordres soient réunis en assemblée plénière, avec pour principe de vote un homme, une voix.
Le 14 juillet 1789, la Bastille est prise. Puis, quelques jours plus tard, lors de la nuit du 4 août, le système féodal n’est plus. L’Assemblée Nationale s’est prononcée pour l’abolition des privilèges dans une ambiance survoltée. Hasard de la vie, Mirabeau n’est pas présent lors de ces deux évènements emblématiques de la Révolution française. L’homme à ce moment là est trop préoccupé par ses affaires personnelles, étant dans une situation conflictuelle avec ses frères et sœurs à propos de la succession de son père tout juste décédé. Il revient néanmoins rapidement dans le jeu politique et étonnement, il se fait de plus en plus ardent défenseur du Roi. Pour Mirabeau, la Révolution doit s’arrêter une fois que la constitution sera établie, la dynamique constitutionnelle étant très vite engagée après que l’Assemblée Nationale fût proclamée Assemblée constituante. Nous l’avons dit, Mirabeau ne souhaite pas la République. Il promeut la monarchie constitutionnelle reposant sur un équilibre des pouvoirs, avec pour chef d’Etat le Roi, et son gouvernement dont les membres sont choisis parmi les députés. Mirabeau en effet se méfie d’une assemblée omnipotente, et c’est ainsi qu’il se positionne en faveur d’un droit de véto accordé au monarque sur les décisions parlementaires. Selon lui, le pouvoir législatif doit être encadré par un exécutif fort. Le vote à propos du droit de véto royal soulève les passions dans les diverses députations. C’est aussi à cette occasion que naissent la gauche et la droite dans le tout nouveau paysage politique français : les députés contre le véto du Roi sont placés dans l’Assemblée à sa gauche, les autres à sa droite. Progressisme contre une certaine forme de conservatisme…
Durant les deux dernières années de sa vie, Mirabeau entretient une relation trouble avec la famille royale. Lui qui rêvait d’être ministre, ce que l’Assemblée lui refuse en ayant interdit à tout député d’exercer une charge ministérielle, le voici désormais proposant discrètement ses services à la monarchie. Son but est de convaincre le Roi, par le biais de correspondances écrites, puis la Reine qu’il rencontre dans le plus grand secret, d’accepter la convention naissante, et pourquoi pas d’entrer pleinement dans l’arène politique avec la création d’un parti royal. Mais Louis XVI et Marie-Antoinette ne sont pas prêts à l’écouter. Leur rancune à son encontre est encore tenace, lui qui fût le premier à attaquer de front le pouvoir royal au début de l’ère révolutionnaire. La Révolution ne lui pardonnera pas non plus son rapprochement discret avec le Roi et la Reine découvert deux ans après sa mort, sa dépouille étant retirée du Panthéon. Elle y avait été placée, avec les honneurs de la Nation pour celui qui fût l’un des pères du plus grand bouleversement politique de la France.