12 Août 2010
On accorde bien souvent trop d’importance à nos humeurs, jusqu’à les considérer pour se définir. Sauf qu’elles sont changeantes, et donc pas suffisamment pérennes pour constituer une identité. Pour le philosophe Alain, « Chacun a de l’humeur selon le vent et selon l’estomac » (Des caractères – Propos sur le bonheur). N’est-ce pas donc qu’incohérence que de se faire une idée de soi sur la base d’un état éphémère ? C’est pourtant là une attitude commune, comme le précise Alain : « Mais ce qui est commun, c’est de consacrer l’humeur et en quelque sorte d’en jurer ; c’est ainsi que l’on se fait un caractère ». Et ce que l’on croit nous caractériser influence notre comportement ou nos considérations sur autrui : « […] et de ce qu’on a pris de l’humeur un jour contre quelqu’un, on vient à l’aimer moins ». Ainsi, l’humeur est l’objet d’une auto persuasion sur laquelle le sujet s’appuie pour se déterminer et agir en conséquence, ou se convaincre de certaines choses. Alain prend à ce titre l’exemple de l’insomniaque : « Celui qui souffre d’insomnie jure de ne point dormir. Et s’il décrète que le moindre bruit le réveille, le voilà à guetter tous les bruits et à accuser toute la maison ». Il en va de même de la maladie. Pour Alain, on si dit bien souvent malade au lieu de le savoir : « […] ; mais les médecins ont depuis longtemps remarqué ce redoutable esprit de système qui fait que le malade cherche les symptômes, et trop aisément les trouve ». Certes le corps n’échappe pas aux maux, mais le malade s’entretient par l’esprit dans la maladie. Bien souvent, il ne rompt pas avec la dynamique du mal qui l’assaille. Il y participe, en se faisant une idée de son état à laquelle il faut donner des preuves. Comment dès lors accorder tout le crédit suffisant à certains traitements destinés à soigner une âme en perdition ? Alain critique ainsi le système freudien, lequel repose sur ce que le patient dit de lui. Peut-on en effet présupposer de la véracité des propos qui sont tenus par l’analysé le concernant, ces propos étant produits par cette même âme troublée et dont la détresse justifie l’analyse ? En outre, le malade peut saisir, si ce ne sont les pensées, les orientations du praticien quant à l’étude de son cas. Dès lors, cette conscience ne risque-t-elle pas d’interférer le procédé, jusqu’à ce que le patient aille dans le sens de ce qu’il pense être l’avis de son médecin à son sujet, ou inversement, et s’écarte ainsi de lui-même ? C’est l’idée que défend Alain : « Et les pensées du médecin ne sont jamais bonnes au malade ; tout le monde le sait. Ce que l’on sait moins, c’est que le malade a promptement deviné cette pensée étrangère et l’a fait sienne, ce qui vérifie aussitôt les hypothèses les plus brillantes. C’est ainsi que l’on a décrit d’étonnantes maladies de la mémoire, où les souvenirs d’une certaine espèce se perdaient ensemble systématiquement. On avait oublié que l’esprit de système est aussi dans la maladie ».