30 Juin 2012
On renvoie communément dos à dos la douleur et le plaisir, comme s'il y avait une frontière nette et précise entre les deux, laquelle une fois franchie dans un sens ou dans un autre nous ferait passer d'un état à l'autre. Pour autant la douleur et le plaisir ont quelques parentés qui brouillent cette netteté qu'on leur prête volontiers. S'il fallait par exemple distinguer la vie affective de la raison, ils appartiennent tous deux à la première. La raison en effet n'est ni douloureuse ni plaisante. En outre, on accède à la douleur et au plaisir sans que la connaissance soit requise. Cet accès est neutre, notre réaction elle ne l'est pas. La méconnaissance conforte la douleur alors que le plaisir lui est indifférent. La douleur nous semble plus présente, plus intense, dès lors qu'on s'interroge sur son origine et que cette interrogation n'aboutit pas. Je suis bien moins curieux à propos du plaisir. Pourtant, sur un plan physique, ce qui est plaisant est plus mystérieux. La douleur est un cri du corps, le plaisir lui est plus silencieux. Même si je ne sais pourquoi, je sais où j'ai mal, moins où je me sens bien. La douleur corporelle est particulière, le plaisir plus général. Je peux certes sentir à un point précis de mon corps ce que je considère comme faisant du bien. Mais cette sensation n'est pas du plaisir. Elle est une réaction agréable. Le plaisir n'est pas agréable, il est autre chose, comme l'a écrit André Gide : « Un jour d'été, après une course dans les Pyrénées poussée jusqu'au maximum de la fatigue, je rencontrai un berger et lui demandai du lait ; il alla chercher dans sa cabane, sous laquelle passait un ruisseau, un vase de lait plongé dans l'eau et maintenu à une température presque glacée. J'y trempai d'abord mes lèvres avec précaution, puis, séduit par ce lait frais où toute la montagne avait mis son parfum, et dont chaque gorgée savoureuse me ranimait, je n'y résistai plus ; je vidai d'un trait le contenu du vase et fus, un moment, sur le point d'en réclamer d'avantage. Ce n'était pas du plaisir que je prenais ainsi, mais quelque chose de tout autre, fait de fraîcheur, de limpidité, d'innocence, de délicatement simple et délicieux, et dont je ne saurais, malgré tout mon soin, dire l'exacte saveur. Je pense aujourd'hui que ce verre de lait m'avait fait comprendre qu'à côté du plaisir, et peut-être au-dessus même il convient de placer l'agréable. »