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Les chemins de la culture

Philosophie, économie, politique, littérature, la culture rendue accessible à tous

La mort selon Sade...ou lorsque le Marquis se trompe à propos de la nature

Sade-marquis.jpgSade nous dit, dans Histoire de Juliette, ou les Prospérités du vice, que la mort n’existe pas, qu’elle est un produit de l’imagination : « A cet instant que nous appelons la mort, tout paraît se dissoudre ; nous le croyons, par l’excessive différence qui se trouve alors entre cette portion de matière, qui ne paraît plus animée ; mais cette mort n’est qu’imaginaire, elle n’existe que figurativement et sans aucune réalité. » Le Marquis de Sade est matérialiste. Selon lui, l’homme est un assemblage de matière dont la fin, que l’on identifie communément sous le nom de mort, est une dissolution et non une disparition. Autrement dit, la matière reste la matière, seule la forme change par un mouvement nécessaire de la nature : « Ô Juliette ! Ne perdez jamais de vue qu’il n’y a point de destruction réelle ; que la mort elle-même n’en est point une, qu’elle n’est, physiquement et philosophiquement vue, qu’une différente modification de la matière dans laquelle le principe actif, ou si l’on veut, le principe du mouvement, ne cesse jamais d’agir, quoique d’une manière moins apparente. » Il y aurait donc dans la nature de l’éternel, et notre existence en serait un des états parmi d’autres. Avec cette proposition, Sade innocente aussi le meurtre en le mettant sur le même plan que la naissance. La mort n’existant pas, son contraire disparaît avec elle : « La naissance de l’homme n’est donc pas plus le commencement de son existence, que la mort n’en est la cessation ; et la mère qui l’enfante ne lui donne pas plus la vie, que le meurtrier qui le tue ne lui donne la mort : l’une produit une espèce de matière organisée dans tel sens, l’autre donne occasion à la renaissance d’une matière différente, et tous deux créent. » Certes, on peut reconnaître que le corps est de la matière agencée et organisée qui, un jour, se désorganise, se désagrège, pour se disperser dans la nature et participe ainsi à la continuité de celle-ci. Mais il y a bien dans cette organisation corporelle un esprit dont la plus grande force, mais aussi sa faiblesse la plus essentielle, est de se connaître lui-même. Que cet esprit soit une production matérielle ou alors est totalement indépendant de l’enveloppe corporelle, peu importe ; nous pouvons admettre qu’il disparaît, et même dans l’hypothèse où ceci ne serait pas vrai absolument, il y a bien une disparition de l’esprit du défunt pour les vivants. Sade dans son propos n’envisage pas l’absence pour ceux qui restent. Qu’une conscience perdure dans chaque grain de poussière, le monde vivant ne la reconnaît pas, ni ne l’entend dans la matière réorganisée. Mais Sade ne s’arrête pas à son intuition à propos de la mort imaginée. Sa réflexion le conduit à prendre une position morale. D’après lui, la loi est dans la nature et celle-ci ne connaissant ni mort, ni vie, le meurtre commis par la main de l’homme ne contrevient pas à son empire : « […] qu’importe le changement que je fais aux modifications de la matière ? Qu’importe, comme dit Montesquieu, que d’une boule ronde j’en fasse une carrée ? Qu’importe, que je fasse d’un homme un chou, une rave, un papillon ou un ver ? Je ne fais en cela qu’user du droit qui m’a été donné, et je puis troubler ou détruire ainsi tous les êtres, sans que je puisse dire que je m’oppose aux lois des règnes, par conséquent à celles de la nature. » Mieux selon Sade, non seulement je ne puis être coupable en tant que meurtrier, mais je rends service à la nature en agissant de la sorte : « Je le sers, au contraire, et les unes et les autres ; les premières, en donnant à la terre un suc nourricier qui facilite ses autres productions, qui leur est indispensable, et sans lequel ses productions s’anéantiraient ; les secondes, en agissant d’après les vues perpétuelles de destruction que la nature annonce, et dont le motif est d’être à même de développer de nouveaux jets, dont la faculté devient nulle en elle , par la gêne où le tiennent les premiers. » La nature aurait dont besoin de destruction pour se maintenir, et en éliminant autrui je participerai de la satisfaction de ce besoin. Seulement voilà, le Marquis oublie que l’homme n’existe pas seulement dans et pour la nature, mais également pour lui-même. Bien-sûr l’être humain est d’origine naturelle, mais son humanité ne l’est pas. En outre, la nature n’est ni bonne, ni mauvaise. Le choix n’appartient pas à la nature. Il est une faculté de la conscience. La nature est un monde de fait, non de droit.

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V
Sade, à la différence des autres matérialistes de son époque, se fiche éperdumment de l'humanité. Il n'oublie rien à ce propos, dans ce sens qu'il s'en moque ouvertement. D'ailleurs, il n'octroie de droit qu'à la nature, délestée de tout sens moral (en nette opposition de ceux-là même qui tiennent à tout prix à humaniser la nature). À son avis, et conséquemment, il n'y a besoin d'un quelconque contrat social, puisque tout passe par obéir aux seules lois de la nature.
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