12 Avril 2012
Qu’est-ce que la conscience ? Descartes aurait dit que pour toute chose évidente, tout le monde sait ce qu’est cette chose. Mais quant à en donner une définition, l’évidence n’est pas d’un grand secours. Au contraire, de l’évidence à l’habitude, et de l’habitude à l’opinion, le chemin est court. C’est ainsi que Bergson se garde de définir dans des termes précis la conscience. Il cherche plutôt à la caractériser, et le premier caractère qu’il lui associe est la mémoire : « Mais sans donner de la conscience une définition qui serait moins claire qu’elle, je puis la caractériser par son trait le plus apparent : conscience signifie d’abord mémoire.[1] » Sans mémoire, point de conscience. Sans conscience, point de mémoire. Toutes deux sont inséparables pour l’existence de chacune. La mémoire est la conservation de ce qui a été reçu et vécu consciemment. Et la conscience est un état dont la permanence n’est possible qu’avec le souvenir. En se souvenant, la conscience se maintient au lieu d’avoir à se renouveler chaque fois. Mais Bergson nous dit que la conscience n’est pas qu’un rapport avec le passé. Si la mémoire nous garantit la conservation de la conscience, c’est aussi pour nous permettre de viser l’avenir. On anticipe, on se projette, en fonction de ce qui a été vu, vécu, de façon plus ou moins éloigné, selon la profondeur de l’anticipation, du projet. La conscience est ainsi l’usage du passé pour l’avenir, elle est « un trait d’union entre ce qui a été et ce qui sera, un pont jeté entre le passé et l’avenir. [2]» Et le présent dans tout cela ? Il n’existe pas, ou plutôt est-il plus conçu que perçu. L’instant est une fuite continuelle. On se souvient, on prévoit, mais quant à saisir ce qui est ici et maintenant, le penser suffit à reléguer ce qui est au passé. Et nous n’avons pas d’autre choix que d’empiéter sans cesse sur l’avenir.
En prolongement de son rapport avec la mémoire, la conscience a pour Bergson un second trait distinctif : elle autorise le choix. Sur la base d’une approche physiologique, Bergson nous enseigne que le choix est un écart entre une réaction immédiate due à une excitation sensorielle et le comportement. La première commande un mouvement, le second concerne une action. Autrement dit, l’action est un mouvement conscient. Et le passage d’un mouvement à une action est possible grâce au rapport entretenu par la conscience avec la mémoire. On agit sur la base de ce que l’on sait, de ce dont on se souvient, cette connaissance, ce souvenir, étant projeté vers l’avenir avant que d’agir pour apprécier les effets de son action si celle-ci était réalisée. Pour prolonger la réflexion de Bergson, on peut penser que le présent est une suspension entre passé et avenir, soit un instant imperceptible où passé et avenir se confondent pour l’établissement d’un choix. Ou encore, selon les termes de Bergson, « la conscience retient le passé et anticipe l’avenir, c’est précisément, sans doute, parce qu’elle est appelée à effectuer un choix : pour choisir, il faut penser à ce qu’on pourra faire et se remémorer les conséquences, avantageuses ou nuisibles, de ce qu’on a déjà fait ; il faut prévoir et il faut se souvenir.[3] » Ainsi, le présent n’existe pas, ou très peu.