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23 Février 2010
Nietzsche, avec la généalogie, crée un nouveau champ d’investissement intellectuel dont la philosophie contemporaine s’en fera une ardente cultivatrice. Nietzsche annonce également Freud et la psychanalyse : « Toute philosophie occulte est aussi une philosophie ; toute opinion est aussi une cachette, toute parole est un masque ». (Par-delà le bien et le mal – Nietzsche). La théoria avec Nietzsche n’est plus destinée à produire des idéologies mais à distinguer les mécanismes inconscients qui les génèrent. Et Nietzsche conclut qu’il ne peut y avoir de vérité ultime car la conscience ne peut échapper à toute subjectivité, et ce même si le sujet est méfiant. Seule l’interprétation prévaut, dans toutes les situations, à chaque instant, et ainsi l’intuition nietzschéenne met en lumière un nouvel infini : il est toujours donné d’interpréter, puis d’interpréter ces interprétations, ces dernières n’échappant pas non plus à une nouvelle interprétation, etc… : « Notre nouvel « Infini ». Savoir jusqu’où s’étend le caractère perspectiviste de l’existence ou même, si elle a en autre quelque autre caractère, si une existence sans interprétation, sans nul « sens » ne devient pas « non sens », si d’autre part toute existence n’est pas essentiellement une existence interprétative, voilà comme d’habitude ce que ne saurait décider l’intellect ni par l’analyse la plus laborieuse ni par son propre examen le plus consciencieux : puisque lors de cette analyse l’intellect humain ne peut faire autrement que de se voir sous des formes perspectivistes, et rien qu’en elles ». (Le Gai Savoir – Nietzsche). Nietzsche accorde ainsi un caractère d’absolu au relativisme, contrairement à Freud, ou Marx, qui, même en dénonçant l’aspect illusoire des idéologies, pensent qu’une vérité ultime existe et qu’elle peut être atteinte. Par contre, Jacques Lacan, célèbre psychanalyste du XXème siècle, s’inscrit dans la pensée de Nietzsche en affirmant qu’ « il n’y a pas de métalangage », ce qui signifie que personne ne peut se soustraire à l’influence de l’inconscient, accordant à la subjectivité un rôle indépassable dans le rapport de l’homme au réel.
Avec la généalogie et après avoir brûlé les idoles, Nietzsche s’écarte totalement à la fois de la vision stoïcienne d’un monde harmonieux qu’il conviendrait de contempler pour accéder à la connaissance, et du dogme chrétien qui succéda à la théoria grecque. La généalogie considère que le monde n’est que chaos. Le généalogiste s’intéresse ainsi à dénouer les liens que l’homme a établi pour donner du sens à ce qui n’en a pas. Nietzsche poursuit son entreprise de déconstruction et explore en même temps les premières voies qui mèneront à la psychanalyse : il se cache chez tout individu certaines choses qui le poussent à se représenter le monde d’une certaine façon plutôt qu’une autre, à adhérer à des concepts, à produire des idées dans une direction donnée, à se soumettre vis-à-vis de certaines idéologies. Le généalogiste est ainsi celui qui est mesure de s’arracher des schémas classiques de pensée, de s’extraire de la pensée commune et contemporaine pour en analyser la construction et critiquer ses effets illusoires sur l’homme. En cela il se marginalise, car il se situe en avant-garde de ses contemporains, comme l’artiste d’ailleurs peut l’être. Le généalogiste se retrouve alors très vite dans une sorte de solitude, le conformisme n’admettant guère les esprits par trop lucides. Nietzsche va même jusqu’à considérer la généalogie comme une remise en cause de la philosophie qu’il trouve encore trop consensuelle à son goût, le philosophe n’étant pas dans l’absolu une personne libérée de toute opinion personnelle : « Toute philosophie est une philosophie d’avant-scène. Voici un jugement de solitaire : « Il y a quelque chose d’arbitraire dans le fait qu’il se soit arrêté ici, ait regardé en arrière, et autour de lui, qu’il ait cessé ici de creuser plus profondément et qu’il ait laissé tomber sa pioche – il y a aussi là-dedans quelque chose comme de la méfiance ». (Par-delà le bien et le mal – Nietzsche).