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Les chemins de la culture

Philosophie, économie, politique, littérature, la culture rendue accessible à tous

Le Grand style de Nietzsche, ou l'harmonisation des forces pour atteindre la grande santé - Entretien de Luc Ferry

Nietzsche-grand-style-grande-sante-humain-trop-humain.jpg« Supposez qu’un homme vive autant dans l’amour des arts plastiques ou de la musique, qu’il est entraîné par l’esprit de la science » (Nietzsche – Humain, trop humain). Cette supposition de Nietzsche est une des illustrations du Grand style auquel l’auteur conseille à tout homme à s’y engager. Pour Nietzsche, qui auparavant distingue chez l’être humain des forces actives et réactives, il n’est pas question de supprimer l’une d’elles au profit de l’autre. Ce ne serait qu’une réaction de plus. La proposition nietzschéenne s’inscrit dans l’ordre de l’harmonisation, du bon compromis entre la négation de ce qui est et l’action à l’origine de la création. Plus tard, Freud s’inscrira dans cette idée de réconciliation, en proposant comme remède au déchirement personnel la conciliation des instances au fondement de la personnalité. Mais avant cela, Nietzsche poursuit son idée : « Il ne lui reste qu’à faire de lui-même un édifice de culture si vaste qu’il soit possible à ces deux puissances d’y habiter, quoique à des extrémités éloignées, tandis qu’entre elles deux les puissances conciliatrices auront leur domicile pourvu d’une force prédominante pour aplanir en cas de difficulté la lutte qui s’élèverait ». Les forces contradictoires sont ainsi neutralisées, et cette neutralisation est le Grand style. D’ailleurs, pour Nietzsche, l’homme a tout intérêt à conserver en lui un ennemi intérieur, ceci l’obligeant à lutter et donc à s’élever. En s’opposant, l’être humain progresse, et si toute opposition est détruite, il n’y a plus matière au progrès, comme l’explique Nietzsche en faisant le parallèle avec le christianisme et la politique : « L’inimitié est un autre triomphe de notre spiritualisation. Elle consiste à comprendre profondément l’intérêt qu’il y a à avoir des ennemis. Nous autres immoralistes et antichrétiens, nous voyons notre intérêt à ce que l’Eglise subsiste. Il en est de même dans la grande politique. Une nouvelle création, par exemple un nouvel empire, a plus besoin d’ennemis que d’amis ». Nietzsche nous dit encore à ce propos : « J’ai déclaré la guerre à l’idéal anémique du christianisme ainsi qu’à tout ce qui le touche de près, non point avec l’intention de l’anéantir, mais pour mettre fin à sa tyrannie. La continuation de l’idéal chrétien fait partie des choses les plus désirables qui soient, ne fût-ce qu’à cause de l’idéal qui veut se faire valoir à côté de lui, et peut-être au-dessus de lui car il faut aussi à celui-ci des adversaires, et des adversaires rigoureux pour être fort ». Ainsi, il n’est pas question d’annihiler toute force réactive, mais plutôt de les maîtriser pour les exploiter au bénéfice de l’action, de prendre appui sur elles pour faire mieux. De ses faiblesses, de ses passions désordonnées, point de rupture à établir pour l’homme car cela ne créerait qu’un déséquilibre de plus. La morale nietzschéenne, si l’on peut qualifier ainsi l’idée du Grand style, est d’être plus fort que ce qui nous affaiblit, tout en sachant que nos faiblesses nous obligent à rester éveillés pour y parvenir. Cette veille permanente est aussi la volonté de puissance, autrement dit la volonté de volonté, la volonté désireuse de sa propre intensité et qui se traduit par la grande santé. Celui qui veut toujours se sentir plus fort que ce qu’il est, qui souhaite se dominer toujours un peu plus, tout en respectant autrui car la puissance donc il est question est sans rapport avec une domination extérieure, celui-là donc se trouve dans une dynamique vitaliste qui est l’expression de la vie. Le Grand style mène à la grande santé. A l’inverse, le déchirement des passions épuise, en consommant toute énergie vitale. Concernant cet épuisement, Nietzsche compare le classicisme grec avec le romantisme qui l’insupporte. Selon lui, le romantique s’automutile en se déchirant intérieurement. La vie lui échappe en se sollicitant constamment, en étant sans cesse engagé vers son intérieur et par la même occasion, détourné du monde des vivants. Nietzsche cherche alors à réhabiliter le classicisme antique, en citant notamment Corneille : « Corneille, il faut le réhabiliter comme un de ces poètes appartenant à une civilisation aristocratique qui mettaient leur point d’honneur à soumettre à un concept leur sens peut-être plus vigoureux encore et à imposer aux prétentions brutales des couleurs, des sons et des formes, la loi d’une intellectualité raffinée et claire. En quoi il était, à ce qu’il me semble, la suite des grands Grecs ». Le Grand style est également esthétique, comme ces statues antiques qui présentent un visage empli de sérénité, après que toutes les forces qui animent l’être aient été mises en harmonie, en symphonie pourrions-nous dire. Le geste aussi peut être la résultante d’une intégration parfaite des différentes passions entre elles, formant une force collective qui devient unitaire dans l’acte pour atteindre la perfection. L’élégance naît ainsi de cet engagement de toutes les forces sans retenue, sans déchirement. Sans qu’il soit impérativement question d’exploit, le Grand style, c’est aussi aimer sans haïr préalablement, soit de ne pas bâtir un amour sur la haine, ni de joie sur la souffrance. Cette dernière bien-sûr peut venir, mais alors jamais nous n’en serons responsables. C’est déjà beaucoup…

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B
woaw quel charme ce nietzsch, je lui sauterais bien dessus à un jeune homme pareil miam miam youhou
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J
<br /> <br /> voilà un programme des plus intéressants ! reste à connaître le détail...<br /> <br /> <br /> <br />