23 Janvier 2010
Les Modernes ont défini avec l'humanisme une nouvelle théoria. La connaissance du monde ne repose plus sur la contemplation comme le préconisaient les Anciens, mais sur une construction de l'esprit. Il ne s'agit donc plus de contempler mais de réfléchir sur ce qui régit et unit les phénomènes entre eux, de distinguer dans la nature les liens de causalité. Ainsi, le travail qu'exige la réflexion perd peu à peu le caractère servile qui lui était attribué pour devenir une valeur respectable et nécessaire à la découverte du réel. Ce transfert influe également sur la morale, laquelle ne reconnaît plus dès lors le talent naturel comme un ordre. La dignité de l'homme s'apprécie désormais en fonction de ses actes, et non plus selon sa naissance. Kant pousse même la morale jusqu'au désintéressement. Autrui devient essentiel pour chacun afin de déterminer la conduite à tenir. Mais l'humanisme n'en reste pas là, il dépasse la révision de la théoria et de la morale anciennes. Comme toute philosophie cherchant une réponse aux questions relatives à la connaissance du monde et sur notre façon d'agir, il en vient à se préoccuper du salut et de la sagesse, sur ce qui nous permet d'être sauvé de nos peurs et sur le moyen d'y parvenir.
Dans un premier temps, les Modernes écartent toute relation entre la morale et le salut. Ce n'est pas parce que l'homme se comporte bien, agit correctement, dignement, qu'il sera exempt de ce qui nourrit la peur la plus grande, à savoir la prévision de la mort. La morale ne garantit pas non plus l'amour qui rend plus fort face aux craintes sociales. L'humanisme s'attache donc à considérer de façon séparée deux des trois questions essentielles posées par Kant : que dois-je faire ; que dois-je espérer. A propos de cette dernière interrogation, les Modernes établissent principalement deux conceptions du salut. La première, portée notamment par Descartes, explique que cette question n'est pas du domaine de la philosophie. Il s'agit d'une considération d'ordre toute personnelle, qui ne doit pas sortir de la sphère privée, contrairement à la théoria et à la morale qui s'inscrivent dans l'espace public. Le christianisme retrouve alors des couleurs dans les foyers. A contrario, la seconde voie humaniste n'abandonne pas à la religion la doctrine du salut. Les investigations produisent d'ailleurs trois perspectives de salut terrestre, dont l'influence de chacune sera considérable sur le XIXème et le XXème siècle et qui sont les suivantes :
le scientisme, qui consiste à donner sa vie à la science pour contribuer à la découverte du réel,
le patriotisme, qui pousse à sacrifier sa vie pour la patrie parce ce que la nation est au-dessus de l'individu,
la révolution, qui impose de se battre sa vie durant pour la défense ou la promotion d'une idée dont l'application est censée changer le monde.
Même si ces trois doctrines n'empruntent rien à la religion, elles n'en conservent pas moins un caractère religieux, à savoir l'existence d'un au-delà vers lequel il faut tendre pour espérer le salut : le savoir pour le scientisme, la nation pour le patriotisme, l'idéal pour la révolution. Cet aspect commun entre la raison et la foi sera le point d'attaque d'une nouvelle génération de philosophes poussant la critique jusqu'à l'extrême, déconstruisant ce que des siècles de philosophie ont produit, l'humanisme compris. Nietzsche sera le précurseur de cette déconstruction qui anime encore aujourd'hui la philosophie contemporaine.