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Les chemins de la culture

Philosophie, économie, politique, littérature, la culture rendue accessible à tous

La conscience et la vie selon Henri Bergson...ou la matière et l'esprit réunis pour la joie

C’est lors d’une conférence donnée en 1911, à l’Université de Birmingham, qu’Henri Bergson donna sa vision sur ce qu’est la conscience, en inscrivant sa réponse dans une réflexion générale sur la vie et son évolution. L’exposé est remarquable car le philosophe ouvre une nouvelle voie ontologique.

 

Bergson-Conscience-et-vie-Energie-spirituelle.jpgBergson déclare dans un premier temps que la « conscience signifie d’abord mémoire ». Sans conscience, point de mémoire. Sans mémoire, peu de conscience : « […] mais la mémoire est là, ou bien alors la conscience n’y est pas. Une conscience qui ne conserverait rien de son passé, qui s’oublierait sans cesse elle-même, périrait et renaîtrait à chaque instant : comment définir autrement l’inconscience ? » Avec la conscience, le passé s’accumule et se conserve, le tout pour tendre vers l’avenir. Avec la mémoire, l’homme peut s’engager dans l’existence, avec le souvenir de ce qui a été pour se diriger vers ce qui sera. Le passé et le futur sont d’ailleurs pour Bergson les seuls temps qui orientent la conscience et lui permet ainsi d’être : « Sur ce passé nous sommes appuyés, sur cet avenir nous sommes penchés ; s’appuyer et se pencher ainsi est le propre d’un être conscient. Disons donc, si vous voulez, que la conscience est un trait d’union entre ce qui a été et ce qui sera, un pont jeté entre le passé et l’avenir. » Avec cette idée, on comprend que le présent n’existe pas dans le sens où il est imperceptible. Le présent est une eau qui coule, insaisissable, ou alors, comme le dit Bergson, le présent est une construction théorique qui certes participe de la conscience, mais cela uniquement pour limiter les deux axes temporels, le passé et l‘avenir, qui animent tout être conscient.

 

Une fois déterminée une fonction de la conscience, « retenir ce qui n’est déjà plus, anticiper sur ce qui n’est pas encore », Bergson s’interroge sur le pourquoi de la conscience. Qu’est-ce qui fait que des êtres soient conscients ? Il écarte d’entrée toute association entre le cerveau et la conscience qui voudrait que le premier justifie la seconde : « De même, la conscience est incontestablement liée au cerveau chez l’homme : mais il ne suit pas de là qu’un cerveau soit indispensable à la conscience. » Pour Bergson, la conscience, quelque soit son degré, son intensité, n’exige pas d’être logée dans une structure organique complexe. La conscience se retrouverait dans toute trace de vie. Sauf que la conscience peut, d’après les termes que Bergson emploie, s’évanouir ou s’endormir. Cet évanouissement ou endormissement est selon le philosophe ce qui permet de différencier les êtres vivants, entre le monde végétal, animal et humain. Mais Bergson, à propos du rapport entre la conscience et le vivant, « crois que tous les êtres vivants, plantes et animaux, la possèdent en droit ; mais beaucoup d’entre eux y renoncent en fait. » Ainsi, l’homme se différencie d’une fleur par exemple selon l’emploi qu’il fait de la conscience. Celle-ci lui permet de dépasser des automatismes physiologiques, d’aller au-delà de la nécessité, en choisissant. La conscience éveillée autorise aussi le mouvement et donc l’action. Ne plus en faire cas et c’est l’assoupissement qui nous guette, comme cela arrive parfois : « Chacun de nous a d’ailleurs pu vérifier cette loi sur lui-même. Qu’arrive-t-il quand une de nos actions cesse d’être spontanée pour devenir automatique ? La conscience s’en retire. » A l’inverse : « Quels sont, d’autre part, les moments où notre conscience atteint le plus de vivacité ? Ne sont-ce pas les moments de crise intérieure, où nous hésitons entre deux ou plusieurs partis à prendre, où nous sentons que notre avenir sera ce que nous l’aurons fait ? Les variations d’intensité de notre conscience semblent donc bien correspondre à la somme plus ou moins considérable de choix ou, si vous voulez, de création, que nous distribuons sur notre conduite. » La conscience est ainsi comme une vague, haute et forte en cas d’attention, plate et sans remous quand les habitudes gouvernent l’action. Aussi, à l’opposé de la conscience, se trouve l’inconscience dont le résultat est une absence d’engagement, synonyme d’immobilisme. Bergson fait à ce propos un parallèle entre l’immobilisme, qui est une sorte de renoncement à choisir, et l’inanimé, qui caractérise la matière. Celle-ci est pour lui sujette à la nécessité ; aucun choix ne lui appartient car elle n’en dispose pas, contrairement au vivant. Le monde est ainsi la réunion de déterminismes et de décisions, de l’inéluctabilité et de l’imprévisibilité. Avec la matière, c’est l’inertie. Avec la vie, c’est la création, laquelle consiste à faire plus que ce qui est, à partir de ce qui est. C’est pourquoi le passé est indispensable pour créer afin de produire du devenir, et la jonction entre le passé et l’avenir étant une fonction de la conscience, Bergson conclut que « la conscience est coextensive à la vie ». C’est également grâce à la conscience que la liberté fait son nid, qu’elle peut s’installer dans la nécessité, certes sans s’en affranchir totalement, mais à tout le moins en s’en accommodant. La vie, la liberté, profiteraient même selon Bergson de tout espace abandonné par la nécessité : « C’est que la vie et précisément la liberté s’insérait dans la nécessité et la tournant à son profit. Elle serait impossible si le déterminisme auquel la matière obéit ne pouvait se relâcher de sa rigueur. Mais supposez qu’à certains moments, en certains points, la matière offre une certaine élasticité, là s’installera la conscience. » La conscience est conquérante. Elle investit des champs que seule la matière possède car notre monde est fini. Nous pourrions également prolonger la pensée de Bergson en estimant que la liberté, en plus de s’arranger de ce qui est déterminant, crée de la nécessité tout en sachant restée maître de cette création.

 

Toute action, toute création, tout mouvement, consomme de l’énergie. Selon Bergson, cette énergie se trouve être dans la matière. La vie, donc la conscience, est comme un détonateur. La conscience puise dans la matière la force nécessaire pour créer du mouvement. La conscience ainsi ne peut se passer de la matière car sans objet elle n’est rien. Et la matière n’a d’existence que lorsqu’elle est visée par la conscience. Toujours est-il que cette association autorise la vie, et chez l’homme la liberté, comme l’explique Bergson : « […] je vois dans l’évolution entière de la vie sur notre Planète une traversée de la matière par la conscience créatrice, un effort pour libérer, à force d’ingéniosité et d’invention, quelque chose qui reste emprisonné chez l’animal et qui ne se dégage définitivement que chez l’homme. » Voilà donc une proposition différenciant l’homme de l’animal, entre l’instinct et l’intelligence. Bergson considère à ce propos que l’instinct et l’intelligence étaient originellement associés dans une force évolutive et l’évolution faisant son chemin, au gré des obstacles rencontrés, avec la matière, des lignes de vie s’écartèrent, jusqu’à ce que nous nous trouvions, nous autres êtres humains, sur l’une d’elles. En suivant cette logique, l’homme serait le résultat d’une force à la fois instinctive et intelligente ayant réussi à se développer dans sa totalité, totalité si l’on considère que cette force n’était composée que d’instinct et d’intelligence. N’y avait-il pas en effet autre chose ? Mais alors comment pourrions nous le savoir, nous qui ne sommes faits que d’instinct et d’intelligence ? Ou peut-être le saurons-nous plus tard, si l’on estime que l’évolution ne s’est pas terminée avec l’homme d’aujourd’hui. Nous pourrions même supposés que l’homme ne soit qu’une étape dans le développement de cette force originelle, et non un aboutissement. Sur ce point, Bergson pense le contraire : « L’évolution de la vie, depuis ses origines jusqu’à l’homme, évoque à nos yeux l’image d’un courant de conscience qui s’engagerait dans la matière comme pour s’y frayer un passage souterrain, ferait des tentatives à droite et à gauche, pousserait plus ou moins en avant, viendrait la plupart du temps se briser contre le roc, et pourtant, dans une direction au moins, réussirait à percer et reparaître à la lumière. Cette direction est la ligne d’évolution qui aboutit à l’homme. »

 

Bergson ne voit pas non plus dans la matière qu’un obstacle pour l’évolution de la conscience. La pensée a besoin de matière pour se fixer car sinon elle ne serait que confusion : « Pour que la pensée devienne distincte, il faut bien qu’elle s’éparpille en mots : nous ne nous rendons bien compte de ce que nous avons dans l’esprit que lorsque nous avons pris une feuille de papier, et aligné les uns à côté des autres des termes qui s’entrepénétraient. Ainsi la matière distingue, sépare, résout en individualités et finalement en personnalités des tendances jadis confondues dans l’élan originel de la vie. » Voilà une proposition qui réconcilie matière et esprit, en dépassant les débats qui animent la philosophie depuis que celle-ci existe : l’élan vital. La thèse vitaliste exclut ainsi toute opposition systématique entre matière et esprit. La matière est peut-être un obstacle, mais en étant postée là, devant la conscience, elle la stimule également. La matière pousse l’esprit à se dépasser, et la conscience se dépassant s’accommode de la matière, le tout générant une dynamique affirmant la vie. D’ailleurs, la vie lorsqu’elle se développe récompense. Elle apporte de la joie. Bergson fait ainsi le lien entre la création, la vie et la joie, les deux premières concourant à l’apparition de la troisième : « Mais la joie annonce toujours que la vie a réussi, qu’elle a gagné du terrain, qu’elle a remporté une victoire : toute grande joie a un accent triomphal. Or, si nous tenons compte de cette indication et si nous suivons cette nouvelle ligne de faits, nous trouvons que partout où il y a joie, il y a création : plus riche est la création, plus profonde est la joie. »

 

En conclusion, on comprend avec Bergson que la joie n’est pas dans la conservation de l’être, pour laquelle seuls suffisent l’automatisme et la répétition, mais dans le dépassement de soi, dans le mouvement, dans l’action, pour faire de soi en se dépassant une richesse de plus au monde. Pour y parvenir, il faut de la conscience, et chose extraordinaire, cette conscience nous est donnée. Gageons alors d’en faire le meilleur usage possible.

 

A lire également, Un jour sur Terre, un retour quotidien sur l'actualité, des analyses, des commentaires. Le lien pour la lecture : https://touteactu.blogspot.fr/

 

 

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