13 Septembre 2012
Les mots ne sont pas le langage. Les premiers sont neutres, le second peut ne pas être innocent. Il y a en effet le réel et les mots pour le signifier, pour l’embrasser, mais cette embrassade n’est possible qu’avec le langage. Le langage met en musique le rapport entre le réel et les mots. Sauf que toute musique est une façon singulière de raconter une histoire. Ses tonalités, son rythme, l’association des sons qui la matérialisent, des notes qui la composent, sont dépendants de celui qui en joue. Le langage est donc maître du mot, laquelle maîtrise est à son tour commandée, par le rhéteur par exemple, ou alors elle est subie par l’auditeur. Sur ce sujet, Eugène Ionesco nous dit que la langue française peut être chargée de pédanterie, ou encore de propagande, l’objectif étant l’emploi « d’une certaine terminologie qui fait exprès de fausser la réalité exacte […] ». Les mots n’y sont pour rien lorsque le verbe trahit la réalité. Cette trahison sert d’ailleurs diverses fins qui leur échappent, qu’elles soient politiques, économiques, morales, ou encore lorsqu’il s’agit de discriminer. A ce titre, un langage « châtié », c’est-à-dire qualifié comme tel par ceux qui s’en prévalent, est aussi potentiellement une arme de discrimination massive. Le but est d’écarter le plus grand nombre en employant les mots d’une façon toute singulière, le tout pour construire un discours hermétique en ayant à l’esprit que l’inaccessibilité fait la valeur. Ceux qui agissent de la sorte ont besoin d’être entendus par tous. Cette écoute leur est essentielle ; elle est à la source de l’incompréhension de ceux qu’ils visent à intéresser. Elle conditionne leur prétendu brio. Seuls eux ont compris ce qu’ils voulaient dire. Vous imaginez leur intelligence ! C’est pourtant faire affront au mot que de le prendre ainsi en otage, car sa neutralité n’en réduit pas moins son importance pour saisir le réel. C’est aussi le travestir que de l’employer à tout va. On peut toujours parler de l’indicible, on ne dira jamais ce qu’il est vraiment.