8 Décembre 2010
Au sortir de la seconde guerre mondiale, l’existentialisme devient un des courants de pensée dominant en France, dont l’épicentre se situe à Paris, plus précisément vers Saint-Germain des Prés. Un homme représente à lui seul le vent de liberté qui saisit à cette époque une partie de l’intelligentsia française : Sartre. Celui qui refusera le prix Nobel de littérature, en estimant qu’il est impossible « d’être consacré de son vivant », celui qui s’engagera idéologiquement en portant haut et fort, voire juché sur un baril devant les ouvriers de chez Renault, les valeurs de la gauche extrême, celui là-même sera l’auteur d’une œuvre dense avec pour thème central l’homme et la liberté qui lui appartient. Sartre donc, est le chantre de l’existentialisme athée, sachant qu’il existe également un courant existentialiste chrétien, qui accorde aussi à l’être humain la faculté du libre-arbitre, mais qui ne s’interdit pas de concevoir une idée de Dieu.
L’existentialisme prend son origine dans la phénoménologie, conception philosophique qui se développe à partir du XIXème siècle, et dont le principe est le suivant : le monde et les choses se manifestent sous forme de phénomènes que l’homme capte avec sa sensibilité jusqu’à en avoir conscience. Mais les choses ne se donnent pas d’emblée totalement. Seule une étude descriptive des phénomènes permet d’atteindre l’essence des choses, soit le réel en soi. Sartre, avec l’existentialisme, s’interroge également sur l’essence, mais son interrogation s’oriente vers l’homme. Existe-t-il une essence humaine avant que d’être ? Non répond-il, car selon lui, « l’existence précède l’essence ». L’être humain ainsi se différencie de l’objet, lequel n’existe que par rapport à une fonctionnalité particulière qui le précède ; c’est parce que l’objet répond à cette fonctionnalité qu’il devient objet. L’homme par contre n’est pas défini à priori. Il n’est d’abord rien, ou comme l’écrit Sartre dans L’Existentialisme est un humanisme, « l’homme existe d’abord, se rencontre, surgit dans le monde, et qu’il se définit après. » L’homme n’est donc pas conditionné à une essence prédéterminée qui le déterminerait. L’individu n’est pas conduit à devenir ce qu’il est mais à être ce qu’il sera. Aucun précepte, ni ordre préétabli, n’est à la gouvernance d’une destinée humain. Pour Sartre, il n’y a d’ailleurs pas de destin, car rien n’est écrit, mais un avenir, rythmé par le projet que porte chaque sujet. Sartre va jusqu’à définir l’homme comme « un projet qui se vit subjectivement ». La nécessité est donc absolument exclue de la pensée sartrienne, en refusant tout déterminisme, qu’il soit qualifié d’inconscient, ou résultant d’un positionnement social. Jean-Paul Sartre s’oppose donc à la fois à Freud et à Marx. Avec l’existentialisme, il entend avant tout rendre à l’homme sa liberté. L’être humain est pour lui fonction des projets qui lui appartiennent et selon leur réalisation ou non. Autrement dit, l’homme est la somme de ses actes, étant entendu qu’il dispose d’une liberté absolue pour les accomplir. Il n’y aurait donc aucune interférence dans ses accomplissements, si ce n’est la liberté d’autrui, ni ordre, ni commandement, sauf ceux produits par l’homme en cherchant à dicter le comportement de chacun.
A l’instar de Camus dont il fût l’ami un temps donné avant de le dénigrer, Sartre conclut que le monde est silencieux, et qu’ainsi ce silence laisse à l’homme le soin de se prendre en charge. Mais cette charge vaut responsabilité ; c’est le prix à payer pour la liberté, tout comme l’angoisse qui est corrélée au libre-arbitre. En effet, l’individu est responsable de ce qu’il devient, mais cette perspective effraie. Rien ne nous informe sur les choix à faire alors que c’est bien le choix, pour Sartre, qui guide une existence libre. Même si le conseil est possible, est-il pour autant plus adéquat qu’une décision prise isolément ? Ainsi, le sentiment d’angoisse s’alimente de la crainte de l’avenir car on ne peut rien en attendre à tout instant, étant donné, d’après la pensée existentialiste, que nulle nécessité n’a une quelconque influence sur ce qui adviendra. Et Sartre n’en reste pas là. Il entrevoit une autre source angoissante, qu’il appelle la « néantisation », et qui comme la peur du futur, est attachée à la liberté. En effet, être libre induit de la contingence. Le sujet aurait ainsi pu très bien ne pas être ce qu’il est devenu, ce qui suppose qu’il existe paradoxalement un non-être, qui ne s’est pas réalisé, et que ce non-être, ce néant, n’existe que par la conscience que le sujet en a. L’homme, en s’interrogeant sur lui-même, en ayant conscience de soi, fait exister ce qui n’est pas, il invente du néant, et cela le touchant personnellement, il s’écarte de ce qu’il est réellement. Cette néantisation est-elle définitivement une voie sans issue ? Bien au contraire nous dit Sartre, car c’est parce que nous pouvons penser ce que nous ne sommes pas que nous sommes libres. Sans choix, nous ne serions que ce que nous devons être ; le non-être serait inapproprié. La liberté a donc un côté effrayant, ce qui laisse à penser pour Sartre que tous ceux qui énoncent des idées déterministes ne font que créer de la nécessité pour échapper à l’angoisse. Ils font selon lui preuve de « mauvaise foi ». Lui par contre nous conseille de ne pas refuser la liberté, parce que c’est grâce et avec elle que la vie prend du sens et qu’elle se construit selon des valeurs choisies. Telle est sa conclusion, et parce qu’elle s’adresse à tous les hommes concernant leur bien-être, l’existentialisme est un humanisme.