22 Décembre 2009
Les premières explorations philosophiques se situent vers 600 ans avant notre ère. Les mythes, qui se caractérisaient par la mise en scène de dieux pour expliquer le monde et la place de l’homme dans le cosmos, vont céder peu à peu la place à la réflexion, au discernement. La démonstration devient un outil au service de la recherche de la vérité. Socrate et Platon appartiennent à cette famille des premiers explorateurs de la pensée.
Platon est un surnom, celui d’un jeune aristocrate athénien, au physique impressionnant, ce qui lui vaut de ses pairs le qualificatif de « large ». Platon est surtout le disciple de Socrate qui l’initie et le conduit vers les voies de la maïeutique, cette démarche consistant par le questionnement et le doute à prendre connaissance de soi et du monde extérieur. Est-on certain de ce que nous affirmons ? Nos certitudes sont-elles inattaquables ou s’agit-il d’allégations qui nous entretiennent dans une réalité confortable ?
Socrate enseigne à Platon la remise en cause de toute conviction. La méthode consiste dans un premier temps à ébranler l’esprit humain même si cette entreprise est inconf ortable. Par analogie, le cosmos mythologique représentant l’ordre et l’harmonie ne tire sa splendeur et son intérêt que lorsqu’il est mis en contradiction, voire dans une position guerrière, face au chaos. Le malaise ne peut être que salutaire parce qu’une fois les erreurs révélées, les faux-semblants découverts, un nouveau monde se dessine, un univers où la vérité est stable, tant sous l’angle temporel que spirituel. Ainsi, la philosophie est la pratique qui permet d’atteindre ce monde.
Platon l’a bien compris. Il oriente sa réflexion selon une approche pragmatique. Pour percevoir et qualifier justement les choses, le philosophe estime qu’il faut avoir connaissance des modèles, des concepts qui constituent la matrice originelle du monde. Je ne peux dire d’une chose qu’elle est belle qu’à la condition d’avoir saisi la beauté dans toute sa dimension intrinsèque. La vérité se trouve ainsi dans un espace que Platon dénomme le monde des Idées et dont les caractéristiques portent sur l’inamovibilité et l’éternité de son existence, mais également sur les difficultés que l’homme peut rencontrer pour le pénétrer. A cet égard, Platon préconise d’user de la géométrie. L’école que le philosophe grec fonda, l’Académie, portait d’ailleurs sur son fronton l’inscription suivante : « Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre ». Les formes géométriques sont en effet incontestables et dépourvues de toute subjectivité. Un carré restera toujours une figure imposée dont les quatre côtés sont égaux et les angles droits. Cette représentation est universelle, quelque soit la langue, la culture, l’histoire. Il ne s’agit pas d’une invention humaine mais d’une idée établie que l’homme a su un moment donné interpréter, même s’il n’a guère conscience au quotidien de cette donnée matricielle. Son regard se fourvoie bien souvent dans des ombres. L’être humain aperçoit des choses à la forme carrée mais n’en perçoit pas l’Idée.
Accéder au monde des Idées pour côtoyer la vérité consiste donc à retrouver la vue de l’esprit, à s’intéresser aux fondamentaux pour comprendre et non se laisser uniquement détourner par des impressions. C’est une démarche qui demande courage et volonté, nécessitant quelques plongées introspectives. Mais en aucun cas il ne s’agit de se couper de la réalité quotidienne, ni de s’installer sur des hauteurs inatteignables par les siens. Ce positionnement ne serait source que d’isolement ou de mépris, conclusions antinomiques par rapport aux objectifs de la philosophie signifiant l’ouverture de l’âme au monde qui l’entoure. Platon recommande au contraire de connaître pour ensuite enseigner. L’entrée dans le monde des Idées ne doit pas être l’apanage de quelques-uns mais une voie libératrice de la conscience humaine face aux illusions qui entretiennent les peurs et les envies. Les philosophes sont donc des guides de l’âme. Ils vont parfois à risquer leur vie, voire même la perdre lorsque une ou plusieurs autorités y entrevoient une menace contre leurs pouvoirs dont l’obscurité est artisane. Socrate fût condamné à mort, ce qui marqua profondément son élève. Platon en déduisit que la quête de la lumière ne pourrait pas se passer d’un ancrage politique, que la philosophie devait faire son entrée dans les assemblées. Le monde des Idées doit animer tout gouvernant dans la conduite du peuple vers la vérité. Ce que ne dit pas Platon, c’est quel en est le contenu. Ainsi, le totalitarisme saura exploiter cette lacune en définissant une vérité au service de ses intérêts.