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Les chemins de la culture

Philosophie, économie, politique, littérature, la culture rendue accessible à tous

Petit cours de philosophie - Chapitre XVI - La passion vue par les philosophes

Passions-en-philosophie.jpgLa philosophie classique nous apprend que les passions sont dangereuses. Elles seraient une force dépassant le sujet. Passionné, celui-ci ne serait plus lui-même. Le droit français, à ce titre, reconnaît la passion comme un état contrariant la volonté de l’individu, et ainsi la peine est allégée en cas de crime passionnel, le condamné bénéficiant de circonstances atténuantes. D’un point de vue étymologique, le mot passion vient du latin patior, qui signifie subir, supporter, pâtir. Le sujet serait donc aliéné par ses passions, empêchant la raison de le conduire dans son existence. C’est ainsi que la pensée antique condamne toute disposition passionnelle, dont les stoïciens qui, pour s’en préserver, recommande l’apathie, soit d’être volontairement indifférent à chaque affection sensible. Pour Platon, la passion est corrélée au désir : l’homme désire parce qu’il est passionné, mais le désir déforme le réel, il illusionne. La passion serait donc à l’origine de l’erreur, voire du mensonge. Les chrétiens, dans la suite de Platon, ne penseront pas différemment, tout comme bien plus tard Descartes. Mais celui-ci introduit une nuance dans l’appréciation négative du mouvement affectif. Il distingue deux types de passions : celles qui appartiennent au corps et qui sont utiles, ce qui équivaut aux instincts, de celles déterminées par l’âme. Concernant ces dernières, c’est la raison qui doit l’emporter. Descartes accorde ainsi une place essentielle au calcul rationnel chez l’individu pour une conduite maîtrisée, et non tourmentée, de sa vie. Suivant cette logique rationnelle, Kant nous avertit cependant que la passion fausse le jugement. Même si l’on use de la raison, la passion s’insert dans la réflexion pour corrompre le discernement. Ainsi, ce qui me semble raisonnable est perverti par la passion qui dépasse la raison. Le sujet déformerait le réel alors qu’il est convaincu de penser la vérité.

 

La passion et la raison s’opposent. Néanmoins, c’est dans cette opposition que la passion va retrouver une certaine reconnaissance aux yeux de certains penseurs, notamment contre un rationalisme extrême, dérivé de l’importance accordée par les Lumières à la raison individuelle. Rousseau fait partie de ceux-là, en privilégiant le cœur, dans lequel il distingue des qualités en matière de sincérité. Avec la passion, l’on agit immédiatement, sans arrière-pensée, ce qui vaut à l’acte d’être authentique. Il faut ainsi pour Rousseau différencier les passions sincères de celles qui ne sont qu’artificielles, destinées uniquement au paraître pour se conformer à une société moderne où la facticité l’a emportée sur le naturel. Le romantisme du XIXème siècle s’inscrit dans l’héritage rousseauiste, en faisant de la passion un levier pour la connaissance de soi. Etre passionné et vivre passionnément, c’est aller dans le sens de ce que l’on est , pour transformer le réel selon ce qui nous affecte le plus profondément, que le résultat soit positif ou non. La passion élargit de cette façon le champ des possibles, en stimulant une existence trop étriquée par une raison mutilante. La passion est ici au bénéfice de la vie individuelle, mais elle peut aussi être considérée sur un plan collectif. Hegel à ce propos écrit, dans La Raison dans l’Histoire, que « rien de grand ne s’est accompli dans le monde sans passion. » Hegel estime que l’homme est certes animé par des motivations égoïstes, mais la satisfaction d’intérêts personnels participe à la réalisation de l’histoire, laquelle est déterminée par une dynamique qui transcende l’être humain et qui est la Raison universelle. Le destin commun se construirait donc sur l’illusion dont chacun est victime, en pensant se réaliser selon ce qui le passionne, d’une façon singulière, alors que les passions individuelles sont avant tout le moteur d’une histoire en marche. Pour Hegel, cette duperie serait une « ruse de la Raison ». Mais si le procédé est trompeur, il n’en est pas moins efficace et là est l’essentiel. L’illusion d’ailleurs n’est-elle pas ce qui caractérise l’homme, qui le détermine ? L’illusion en effet est un jugement qui aboutit sur une erreur, suite à une appréciation inadéquate avec le réel. L’homme reçoit avec les sens ce que le monde lui livre, et cette réception est travaillée par l’esprit, avec la faculté de juger. L’illusion peut tout aussi bien se fonder sur un défaut des sens que de l’esprit. C’est ce qui constitue l’erreur, mais l’illusion s’en distingue en se maintenant dans la durée. L’erreur ainsi s’évapore avec la connaissance, pas forcément l’illusion. Il y a plus que de la méconnaissance dans le procédé illusoire, et Freud en revient à Platon lorsqu’il nous dit voir dans l’illusion la marque désir. Selon lui, l’esprit se brouille lui-même, le sujet croyant ce qu’il veut croire, mais pour autant il s’agit d’une influence inconsciente. L’illusion ne pourrait ainsi disparaître qu’avec la suppression du désir dont la manœuvre échappe à la conscience.

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