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Les chemins de la culture

Philosophie, économie, politique, littérature, la culture rendue accessible à tous

Petit cours de philosophie - Chapitre I - L'objet de la philosophie

 

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  1. Une définition de la philosophie ?

Qu’est-ce que la philosophie ? Est-il possible d’en donner une définition unanimement acceptée, au-delà d’un simple décryptage étymologique ? En effet, en grec la philosophie signifie l’amour de la sagesse. Cette énonciation représente certes un programme ambitieux, mais est-il adéquat pour caractériser toux ceux qui un jour ont embrassé la philosophie et tous ceux qui s’y adonnent aujourd’hui ? Les courants de pensée qui jalonnent l’histoire des idées sont-ils chacun une expression de la maxime grecque ? La propension de la philosophie à influencer la société garantit-elle la construction d’un ordre juste en référence à la sagesse dont les Grecs se font l’écho ?

Pour tenter une définition de la philosophie, procédons par élimination. Premièrement la philosophie n’est pas une science. Elle ne produit aucune théorie éprouvée par l’expérimentation pour être admise par toutes les communautés de savoir. La philosophie présente certes des systèmes de pensée, mais aucun de ceux-ci n’a atteint l’unanimité. Serait-elle alors un art de vivre ? Propose-t-elle une façon de se conduire, une morale ? Si c’est le cas, cela voudrait-il dire qu’il n’existe qu’une seule façon d’être quelqu’un, et ce quelque soit l’origine, la culture, l’histoire ? A cette dernière question, l’observation du monde nous permet d’ores et déjà de répondre par la négative. La morale, dans sa totalité, ne peut pas être contenue dans une approche unique qui s’appliquerait sans exception aux hommes, même si des principes la constituant pour partie affichent un caractère universel. La philosophie ne dispense donc pas une seule morale. Ni science, ni moraliste, qu’est-ce donc qu’être philosophe ? Une définition donnée par Jaspers dans son œuvre Introduction à la philosophie nous éclaire un peu plus : « Faire de la philosophie, c’est être en route ; les questions en philosophie sont plus essentielles que les réponses et chaque réponse devient une nouvelle question. » La philosophie est ainsi une démarche interrogative nous invitant à se questionner sur soi, sur autrui, sur le monde. Même si toutes les réponses ne sont inscrites dans aucun livre ou déposées à un endroit précis, même si certaines de nos interrogations resteront toujours en suspens, la philosophie est bénéfique dans le sens où elle apporte quelque chose de plus. Cet apport est un entraînement à user de notre intelligence qui s’accroissant nous conduit vers le discernement et la lucidité. La philosophie permet ainsi de rompre les habitudes, de contourner les opinions toutes faites, d’éviter les préjugés, tout ce qui nous enchaîne au quotidien dans une logique dont nous ne sommes pas les auteurs. La philosophie est une fournisseuse de liberté.

  1. La réflexion philosophique

Comme décrit ci-dessus, philosopher c’est s’interroger, donc penser. Présentée ainsi, tout individu peut se déclarer philosophe car la pensée est une aptitude qui nous réunit tous. Je pense par exemple à ce que j’aimerais faire demain, ou bien à ce que j’aurais du faire hier. Je pense avoir éteint le gaz avant de quitter la maison, ou encore je pense que cette femme ne mérite pas l’attention de mon meilleur ami. Je pense donc mais suis-je pour autant philosophe ? Pas vraiment concernant les exemples donnés ci-dessus, même si la philosophie est destinée à embrasser tous les problèmes que pose l’existence. Il convient donc de distinguer précisément le champ de la réflexion philosophique. Sur ce point, Kant énumère trois questions qui ambitionnent de résumer l’étendue de l’aventure philosophique :

- que nous pouvons-nous connaître, s’agissant d’une question qui englobe à la fois les sciences et la métaphysique, ce qui est au-delà de la simple observation physique. Cette problématique constitue une recherche profonde sur l’Univers et sur l’Etre ;

- que devons-nous faire, ce qui renvoie à l’action et au comportement ;

- que pouvons-nous espérer, à savoir vers quoi notre existence peut-elle nous mener.

Autrement dit, la réflexion philosophique nous invite à découvrir le monde, en comprendre les règles pour y trouver sa place, le tout étant d’y gagner le salut face à la finitude qui nous caractérise. L’homme n’est en effet vivant que parce qu’il est mortel, comme tout être animé, mais il est le seul à avoir conscience de sa fin prochaine, ce qui crée chez lui de l’angoisse existentielle. La philosophie peut permettre de contenir cette dernière, voire de la dépasser. Il s’agit là d’une doctrine du salut sans Dieu parce que la raison l’emporte. La foi par contre dirige l’homme vers un terrain religieux qui n’est plus de la philosophie. La raison est-elle cependant suffisante pour tout connaître ? Citons Confucius : « Tenir pour connu ce que l’on connaît, et pour inconnu ce que l’on ne connaît pas, c’est çà le vrai savoir. » Ou encore Socrate : « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien ». Sacha Guitry également : « Le peu que je sais, c’est à mon ignorance que je le dois. » Il faut donc bien admettre que la réflexion philosophique ne livre pas tous les secrets de l’Univers, ni ceux de mon frère ou de mon voisin. L’irrationnel est une composante du monde que l’on peut nommer ainsi, comme d’autres le qualifie de hasard. La science, qui est fille de la philosophie, tend néanmoins à objectiver le réel. Mais elle-aussi doit composer avec la relativité. Elle est même sans fin car, selon le principe de causalité, à chaque fois que l’on découvre et comprend une cause, cette dernière devient l’effet d’une cause antérieure, et ainsi de suite. La cause initiale, originelle, semble dès lors inatteignable. Ce qui n’empêche pas la recherche scientifique, tout comme la réflexion philosophique car c’est cela qui nous fait progresser.

  1. Le détachement philosophique

Se consacrer à la philosophie implique le détachement. Pour comprendre cette condition, imaginons que la vie soit représentée par un train qui avance. A l’intérieur se trouvent des individus qui sont transportés sans se poser de question. Puis l’un d’entre eux a soudainement l’envie de voir ce train qui roule, à quelle vitesse il peut aller, vers quelle destination il se dirige. Ce curieux décide de s’intéresser également aux voyageurs, de noter leurs comportements puis les analyser. Dans ces deux cas, l’observation nécessite de se retirer de l’objet ou de la situation contemplé. Il faut donc en quelque sorte sortir du flux quotidien pour se mettre en position de philosopher. Cette forme de détachement n’est cependant pas sans risque car l’isolement n’est jamais très loin. La philosophie ne signifie pas se couper du monde, bien au contraire. A ce propos, il est souvent fait le reproche aux philosophes d’être éloignés de la réalité, ce qui est un comble car comme nous l’avons vu, la philosophie revendique la poursuite du réel. Ce paradoxe est le reflet d’une démarche philosophique inadéquate car abscons et tournée exclusivement sur elle-même. La philosophie ne peut pas être nombriliste ; elle doit s’imprégner du monde qu’elle tente de connaître. A défaut, elle n’est qu’un discours hermétique qui n’aide certainement pas son auteur sur la voie du salut. Sans aller jusque là, il ne s’agit pas non plus comme Thalès de tomber dans un puits parce que trop absorbé par la contemplation du ciel. La vérité si elle devient obsessionnelle trouble la réalité, conduit à l’inexpérience, à la gaucherie dont les railleurs en font le commerce. Platon décrit cette situation dans le Gorgias et dans le Théétète : « L’homme ainsi fait, quand dans la vie publique, au tribunal ou quelque part ailleurs, il a été forcé de parler sur les choses qui sont à ses pieds et sous ses yeux, prête à rire non seulement à des filles de Thrace, mais à n’importe quelle foule parce que son inexpérience le fait tomber dans des puits et dans toute sorte de difficulté sans issue…La terrible incongruité de son attitude lui vaut d’être pris pour stupide. » Platon ne se limite pas à ce constat. Il défend le philosophe. Il lui reconnaît le courage de ne pas se laisser emporter par les idées communément admises, de ne pas se laisser influencer par les opinions de la majorité, de ne pas se laisser emprisonner dans la caverne (cf L’allégorie de la caverne – Platon). Le philosophe peut certes se marginaliser, mais c’est le prix à payer pour s’épanouir dans la réflexion philosophique, la marginalité ne signifiant d’ailleurs pas l’exclusion. Platon va encore plus loin dans la défense de la philosophie. C’est selon lui la seule activité raisonnable qui permet d’échapper au monde sensible et aux illusions qui le caractérise, pour accéder au monde des Idées, seul espace où se trouve la Vérité. Platon crée ainsi l’idéalisme, qui s’oppose au matérialisme, et justifie dans le même temps une conception esclavagiste des relations sociales, en distinguant l’esclave, celui qui reste dans la caverne, et l’aristocrate, l’homme libre qui sort de la caverne. Cette distinction est notamment exprimée dans le Théétète : « L’un dont l’éducation s’est faite dans une liberté et un loisir réels, c’est celui qu’on appelle un ami du savoir, un philosophe auquel on n’en voudra pas de paraître naïf et de n’être qu’un zéro quand il lui arrive de tomber à des besognes serviles… ; l’autre, en revanche, est capable de s’acquitter de toutes les besognes de ce genre avec habileté et vivement, mais il ne sait pas… ». Le philosophe selon Platon peut s’exercer à penser le monde car le travail d’autres le libère des contraintes matérielles. Ne faisons pas l’économie d’une critique, parce que c’est aussi le rôle de la philosophie que de critiquer, à propos de cette conception platonicienne, et cela sur deux points :

- cette conception fonde un traitement inégalitaire entre les hommes fonction de ce qu’ils sont, et non pas de ce qu’ils font. L’esclavage et l’aristocratie sont des situations héréditaires et non un statut qui s’acquiert ;

- se couper du monde sensible comme le recommande Platon risque fort bien de faire tomber la philosophie dans la mystification, voire le dogmatisme. Le détachement est certes requis pour philosopher mais il n’est pas question de se détacher pour ensuite s’enfermer dans un raisonnement ou un système. Il s’agit plutôt pour aborder la philosophie de prendre du recul.

Pour aller plus loin :
Platon - Allégorie de la caverne
Philosopher c'est apprendre à mourir
Socrate - Tout ce que je sais c'est que je ne sais rien
Platon met en scène la caverne
Socrate - La méthode socratique
Socrate développe l'expérience philosophique
Le corps tombeau de l'âme selon Platon
Socrate vu par Merleau-Ponty - Une leçon inaugurale au Collège de France

Textes :
Eloge de la philosophie - Leçon inaugurale au Collège de France - Merleau-Ponty
Platon - Phédon - Extrait 66b à 66e

Aristote - Ethique à Nicomaque - Extrait

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