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12 Janvier 2011
La politique est un des grands thèmes opposant Platon et Aristote. Le premier la considère comme dépendante de la morale. La réponse à la question « que dois-je faire » sur un plan personnel induirait la place et les modalités pratiques de fonctionnement d’un système politique. Aristote par contre estime que c’est l’inverse : la politique commanderait la morale. Au-delà de cette différence de sens, tous deux lient politique et morale dans un rapport nécessaire pour l’homme afin d’atteindre le souverain bien, en l’occurrence le bonheur. Faire du singulier la condition pour organiser la vie collective, ou au contraire demander à la collectivité de fournir un cadre individuel d’existence, cette alternative donc est la source fondamentale de la philosophie politique, dont l’une des questions centrales est la suivante : faut-il privilégier le système ou l’individu ? Selon la réponse, l’organisation sociale diffère, entre la monarchie qui consacre un homme, l’aristocratie qui privilégie une minorité, la démocratie qui représente la majorité. Même différentes, chacune de ses organisations tend vers la tyrannie dès lors que le bien commun est bafoué, au profit d’un ou de quelques-uns, d’un clan ou d’un parti. Ce risque existe car le pouvoir ne conduit pas naturellement à la justice. L’homme est ainsi fait que l’intérêt personnel l’emporte sur la volonté générale. Le pouvoir n’est pas en soi vertueux, ni autre chose d’ailleurs si ce n’est de donner la capacité à son détenteur de décider pour les autres, soit en les avantageant, soit à leur détriment. Le pouvoir, c’est aussi et surtout ce que l’on en fait, d’où l’importance de le limiter, comme le conseille Montesquieu dans L’esprit des lois : « C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ; il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites. Qui le dirait ! La vertu même a besoin de limites. Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par les dispositions des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. » Ce principe exige ainsi de la démocratie une distinction entre le pouvoir exécutif, celui qui exécute, le pouvoir législatif, celui qui légifère, le pouvoir judiciaire, celui qui juge. Il s’agit cependant moins d’une séparation que d’un mode de fonctionnement. Tous trois agissent ensembles en se maîtrisant mutuellement, ce qui requiert une indépendance entre les détenteurs de chacun de ces pouvoirs. Leur concentration dans une seule main ou dans quelques-unes donnent des ressources à la tyrannie, ce dont nous avertit Montesquieu une fois encore : « Tout serait perdu si le même homme ou le même corps exerçaient ces trois pouvoirs : ce lui de faire des lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers. » Avec Montesquieu, la politique est avant tout ce qui permet à chacun de disposer de lui-même tout en se référant à une autorité. Le libéralisme, qui privilégie l’intérêt individuel, et le socialisme qui s’inscrit lui dans l’égalitarisme, ne refusent pas l’Etat, contrairement à l’anarchie. Ces deux tendances idéologiques, même si elles s’opposent, n’en demandent pas moins l’une et l’autre à chacun d’abandonner une partie de sa liberté individuelle pour que puissent coexister toutes les libertés individuelles. Il s’agit de respecter un contrat qui transforme un fait naturel en droit civique, ce qu’explique Rousseau : « Ce que l’homme perd par le contrat social, c’est sa liberté naturelle et un droit illimité à tout ce qui le tente et qu’il peut atteindre ; ce qu’il gagne, c’est la liberté civile et la propriété de tout ce qu’il possède. Pour ne pas se tromper dans ses compensations, il faut bien distinguer la liberté naturelle qui n’a pour bornes que les forces de l’individu, de la liberté civile, qui est limitée par la volonté générale, et la possession, qui n’est que l’effet de la force ou le droit du premier occupant de la propriété, qui ne peut être fondée que sur un titre positif. » Avec le contrat social, c’est prendre la garantie de sa sécurité en s’engageant à ne pas altérer celle de l’autre. Il s’agit d’être libre au sein d’une communauté de libertés particulières. L’égalité échappe par contre au contrat social de Rousseau. On peut pourtant être libre originellement sans disposer de condition favorable pour la réussite. L’égalité reviendrait ainsi à contraindre un peu plus la liberté de certains, ceux qui bénéficient d’atouts pour se réaliser, socialement, financièrement, voire intellectuellement, pour compenser ce qui manque à d’autres. Il existe donc un rapport entre la liberté et l’égalité, et c’est la politique qui le définit et l’encadre. Que l’une ou l’autre soit considérée comme absolue par le pouvoir et c’est le risque totalitaire qui grandit : la collectivisation forcée pour consacrer l’égalité, la loi du plus fort s’agissant de la liberté. Bien qu’elles soient antinomiques, ces deux voies n’en mènent pas moins la politique à sa perte lorsque celle-ci n’est plus animée par le bien commun. Platon et Aristote avaient ainsi bien raison de lier politique et morale, mais peut-être faut-il les placer à équidistance, c’est-à-dire n’accorder aucune valeur supplémentaire à l’une au détriment de l’autre. Il s’agit là d’un dosage qui n’est pas une évidence, ce qui fait de la politique un exercice et non une administration.