14 Février 2012
Qui est cette femme qui peuple le rêve de Verlaine, si aimante et compréhensive ? Sans visage, sans identité, sans nom hormis le son de sa prononciation, et pourtant elle est continuellement là, présente, figée même comme une statue inflexible et imperturbable. Elle a l’immobilité de l’idéal, et pourtant elle n’est pas étrangère. Elle comprend le poète, accueille ses souffrances, et peut-être le mystère qui la voile brise la pudeur chez celui qui la rêve. Ni ange, ni dieu, ni démon, elle est là, avec compassion. Peu importe ses traits, elle peut bien être transparente ou diaphane, son évocation suffit à apaiser les troubles du cœur et de l’esprit. Elle est un rafraichissement en prenant sa part du désarroi qui secoue le poète. Ses pleurs sont autant de soins appliqués sur une âme blessée. Femme idéale peut-être, sans être un idéal intemporel et inaccessible, car elle est aussi une voix qui n’a rien d’irréel, semblable à d’autres voix entendues autrefois. Elle est un rêve, mais aussi un souvenir.
Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime,
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.
Car elle me comprend, et mon coeur transparent
Pour elle seule, hélas! cesse d'être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.
Est-elle brune, blonde ou rousse? Je l'ignore.
Son nom? Je me souviens qu'il est doux et sonore,
Comme ceux des aimés que la vie exila.
Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L'inflexion des voix chères qui se sont tues.