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7 Septembre 2012
L’âme transporte avec elle des souvenirs, et Gérard de Nerval nous invite à penser qu’ils ne sont pas que de notre époque. D’autres vies s’y mêlent. Le poète en effet croit à la réincarnation des âmes, à la métempsychose. Le corps serait avant tout une ossature permettant à l’âme de prendre pied parmi les vivants, au sein du monde. Nous vivrions alors tous de multiples vies sans le savoir, l’existence n’en acceptant qu’une seule à la fois. Pourtant, il est des signes, des sons, des odeurs, qui révèlent à celui qui veut bien les voir, les entendre, les sentir, un passé qui n’appartient pas au corps actuel et pourtant le reçoit comme tel. Un air par exemple, plus puissant que toutes les grandes musiques du monde, fait vibrer l’âme suffisamment pour que celle-ci aille chercher des évocations d’un autre temps. C’est alors un château qui se reconstruit présentement, c’est une dame à la fenêtre se dessinant. L’âme se souvient de ce que le corps n’a pu connaître mais qui pourtant apparaît, ici et maintenant. Comme Gérard de Nerval, entendons certaines pensées étrangères non pas comme quelques fantaisies, ou encore comme des fruits imaginaires, mais comme des souvenirs relevant d’une autre ère :
Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,
Un air très vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets.
Or, chaque fois que je viens à l’entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit :
C’est sous Louis treize ; et je crois voir s’étendre
Un coteau vert, que le couchant jaunit,
Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs ;
Puis une dame, à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,
Que, dans une autre existence peut-être,
J’ai déjà vue... — et dont je me souviens !