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30 Août 2011
Les bohémiens sont comme le poète : exilés et voyants. Leur exil est leur voyage. Ils cheminent eux-mêmes tout entier, ne laissant rien de leur personne derrière eux, la route étant leur unique territoire. Il y a dans leur périple comme une ardeur animale, originelle, comme si l’instinct les portait toujours au devant d’eux-mêmes :
La tribu prophétique aux prunelles ardentes
Hier s’est mise en route, emportant ses petits
Sur son dos, en livrant à leurs fiers appétits
Le trésor toujours prêt des mamelles pendantes.
Les bohémiens ne sont cependant pas animés par une seule inclination pulsionnelle. Leur regard se tourne volontiers vers le ciel, plus que vers la terre. Ces nomades visent autre chose que le chemin qui s’ouvre devant eux. L’ici-bas ne les contente pas. Le bourgeois et sa civilisation dite moderne ne sont pas leurs modèles. Le mouvement qui caractérise les bohémiens tranche avec l’immobilisme d’une société établie, portant en elle le danger d’enfermer ceux qui la composent. C’est un ailleurs qu’ils cherchent dans chacun de leur pas, comme le poète dans ses vers. La terre pour les bohémiens est un sol sur lequel ils avancent, plus qu’un foyer où se poser. Est-ce là désarroi que de cheminer de la sorte ? Peut-être regrettent-ils de ne pouvoir jamais être absents, parce qu’il faut bien être fixé avant de s’absenter :
Les hommes vont à pied sous leurs armes luisantes
Le long des chariots où les leur sont blottis,
Promenant sur le ciel des yeux appesantis
Par le morne regret des chimères absentes.
Il n’empêche que la nature les reconnaît et leur accorde certaines faveurs lorsqu’ils passent, sans pourtant la regarder. Cette reconnaissance leur est peut-être due parce qu’il ne la possède, Cybèle, ne cherchant pas à en devenir le maître :
Du fond de son réduit sablonneux, le grillon,
Les regardant passer, redouble sa chanson ;
Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures,
Fait couler le rocher et fleurir le désert
Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert
L’empire familier des ténèbres futures.
Les bohémiens, comme le poète, voient au-delà de ce qui est présentement. Détournés de la matière, quelque peu indifférents à l’endroit de la nature, les bohémiens progressent vers un ailleurs insaisissable, l’avenir, et ainsi jamais leur marche ne s’arrête.