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Les chemins de la culture

Philosophie, économie, politique, littérature, la culture rendue accessible à tous

Quelques notions de symbolique

Texte écrit par Viviane le Brazidec

 

"La connaissance est une ascèse. Elle exige constamment de travailler sur soi-même. Elle nécessite de pouvoir parler une langue que tout le monde comprenne et non pas un charabia scientifique".

 (M. Godelier, anthropologue)

 

 

Symbole.jpgIl  y a un "Vide" qui n'est pas vide. Un "Vide" d'où émerge du Sens. Grâce au symbole. En effet, face à tout conflit (d'opposés), si nous acceptons de ne plus (ni vouloir) savoir  -c'est-à-dire de traverser ce "Vide" - , le symbole, comme troisième terme, surgit tel un pont pour aborder une autre rive. "Tout ce qui passe n'est que symbole", a écrit Goethe. Partant de là, le recours à la fonction symbolique  -inhérente à l'homme- qui permet de comprendre le symbole, nous assistera afin de sortir de la contradiction ; elle nous fera emprunter une autre voie. Une troisième voie. Une voie du milieu. Pour continuer d'avancer...

 

 Les notions de "symbole" et de "fonction symbolique" ont été évoquées par de nombreux auteurs, mais c'est à partir du XXème siècle qu'elles ont été définies plus précisément par tous les grands psychanalystes (Freud, Lacan... et Jung, également philosophe). Je vais tenter avec le plus de simplicité et de clarté possible d'en écrire une (toute) petite synthèse selon l'approche qu'en a faite C.G. Jung que je privilégie. Cependant, la simplicité étant ce qu’il y a de plus difficile, je ne prétends pas y parvenir.

 

Avant de poursuivre, il est important de poser ces quelques précisions : "le Moi" est le centre du champ de Conscience ; il ne se confond pas avec la totalité de la psyché. Il faut donc distinguer entre le "Moi", sujet de ma Conscience et le "Soi", sujet de la totalité de la psyché y compris l'Inconscient. Accepter que l'Inconscient est autonome est très difficile pour le "Moi" conscient mais c'est pourtant la condition pour que s'instaure un dialogue ("L'âme dialogue avec elle-même", Socrate). La Conscience doit rester décisive et essayer de comprendre les manifestations de l'Inconscient, les apprécier et prendre position.

 

Peut-être pourrait-on avancer alors que toutes les grandes idées comme celles du "daimôn" de Socrate (celui-ci se disait inspiré d'un "génie" particulier, qu'il nommait son "daimôn", et qui lui suggérait toutes ses résolutions, tous les principes de sa philosophie et de sa conduite) de "la raison du monde ou Providence" des Stoïciens, de "la loi morale totalement indépendante de nos buts particuliers" de Kant, de "suivre notre propre nature en persévérant dans notre être" de Spinoza, des "forces de vie archaïques qui nous meuvent contre notre gré" de Nietzsche, etc., ont germé tout d'abord sous forme symbolique dans l'Inconscient de ces philosophes de génie. Elaborées ensuite grâce à leur conscience, elles seraient devenues ces concepts. Des concepts intemporels, puisque arrivés jusqu'à nous.

 

 

 LE SYMBOLE                                                

 

"De quelque nature que soit l'Inconscient, c'est un phénomène naturel, qui engendre des symboles dont l'expérience révèle qu'ils ont un sens". (C.G. Jung)

 

Étymologiquement, le nom de symbole veut dire union de 2 termes. Il est issu du mot latin "symbolum" et du mot grec "symbolon". En Grèce antique, quand 2 tribus passaient un accord, celui-ci était représenté par un objet coupé en deux dont chaque tribu récupérait une moitié. Le "symbolon" était cette moitié d'objet évoquant la moitié absente et symbolisant donc l'accord entre les 2 tribus.

 

Aujourd'hui dans le sens courant, le terme de "symbole" est utilisé abusivement et à tort et à travers. Par exemple dire que "le blanc est symbole de pureté" est  impropre car ce n'est pas un symbole mais une analogie. On associe ici la notion concrète et abstraite avec un lien explicite. Dans les Mathématiques également où ce ne sont pas des symboles mais des "signes" ; chaque graphique désigne une opération unique et universelle ; c'est donc clairement défini et invariable.

 

En Symbolique*, le symbole est défini comme une représentation concrète (objet, image, figure, événement, être vivant...) à laquelle se rajoute, mais ne se substitue pas une notion abstraite absente, inconnue ou inconsciente. En effet, ici c'est l'absence qui donne cette notion essentielle au symbole. Celui-ci, appartenant à l'Inconscient, est toujours porteur d’une signification, mais qui n’est jamais donné a priori  –le symbole a besoin d’être déchiffré. S'il apporte une réponse, il ne fournit pas le mode d'emploi. S'il est porteur d'éléments pour aller plus loin, tout le travail revient au "Moi" conscient.

 

Approche jungienne

Un mot ou une image sont symboliques lorsqu'ils impliquent quelque chose de plus que leur sens évident et immédiat. Ce mot, ou cette image, ont un aspect "inconscient" plus vaste, qui n'est jamais défini avec précision, ni pleinement expliqué. "C'est parce que d'innombrables choses se situent au-delà des limites de l'entendement humain que nous utilisons constamment des termes symboliques pour représenter des concepts que nous ne pouvons ni définir, ni comprendre pleinement. C'est aussi l'une des raisons pour lesquelles les religions utilisent un langage symbolique et s'expriment par images. "Mais cet usage conscient que nous faisons des symboles n'est qu'un aspect d'un fait psychologique de grande importance : car l'homme crée aussi des symboles de façon inconsciente et spontanée", écrivait Jung.

 

Le symbole est une création psychique reposant sur une expérience émotionnelle et impliquant la reconnaissance du double sens de ce qui fait fonction de symbole. En effet, le symbole a besoin d'être reconnu comme tel pour jouer son rôle de symbole. Chez Jung, il n’y a pas de lecture préétablie (comme chez Freud). Tout symbole est unique  – les symboles ne sont pas interchangeables. Puis, en tant que tel, le symbole n'existe pas puisqu'il est une relation entre un objet et un sujet. De facto, il est une expérience strictement intime et personnelle. C'est pourquoi il faut se méfier de l'utilisation des grilles de lecture qui sont universelles.

 

Le symbole ne se travaille donc pas au niveau intellectuel car c'est l'émotion (tête chercheuse) qui nous fait le repérer. On ne cherche pas le symbole, c’est une rencontre. Mon Inconscient dans le besoin de me transmettre un message, va se saisir d’un objet X (notion d'objet au sens large : tout ce qui n'est pas moi). C'est ce petit ressenti en nous qui va distinguer cet "objet" qui fait fonction de symbole et faire en sorte que nous "entrons en communication" avec lui. ("La vérité monte d'un coup d'aile jusqu'au symbole", Emile Zola).

 

Toutefois, quand le symbole émerge (parce qu'on a accepté le "vide"), le travail de compréhension et la mise en mots peuvent clore le processus de symbolisation. Mais ils ne sont pas indispensables car, une fois déclenché, ce processus continuera son oeuvre dans l'inconscient d'où il provient, même s'il n'y a pas d'interprétation. Nous restons donc libres de ne pas symboliser. Cependant, si nous tentons de rechercher le sens profond de ce symbole, nous participons plus activement à notre propre évolution. Aussi, plus nous y participons consciemment, plus nous serons familiers avec ce processus et moins nous aurons peur de ce vide puisqu'il a un sens. Puis tout au long de notre parcours de vie, la confiance acquise dans ce processus va permettre de "tenir" les vides ultérieurs. Et nous faire sortir peu à peu de l'"indifférencié"...  pour nous différencier. Ce processus de symbolisation est donc un processus de différenciation.

 

Aussi, le symbole n’a pas un niveau unique d’interprétation pour une même personne c'est-à-dire qu'il comporte une multitude de facettes, de la plus immédiate à la plus ancienne dans le temps. Concrètement, on va aborder une, deux ou trois facettes seulement, mais être à un niveau d’interprétation n’annule pas un autre niveau ("Le symbole peut être comparé à un cristal restituant différemment la lumière selon la facette qui la reçoit", Raymond de Becker).

 

Nous sommes tout aussi libres d'ignorer les messages que nous envoie notre Inconscient mais ce dernier très patient continuera de les délivrer sous la forme d'autres symboles jusqu'à obtenir notre entendement. Par contre, si nous feignons de ne pas les entendre, notre Inconscient est moins indulgent. Ce refus impliquant parfois l'absence ultérieure de mise en acte nécessaire, peut conduire à une perte d'énergie ; notre vitalité va se rétracter. Celui qui refuse est le même que celui qui pâtit des conséquences de son refus. "C'est le sujet et nul autre à sa place, qui se rend malade et c'est de lui et de nul autre que provient le désir d'en sortir." (Jung).

 

Afin que se manifeste le symbole, il convient donc de "tenir" le vide, le doute, le non savoir, l’insécurité, la dépression etc. pendant un temps. Le temps nécessaire... pour laisser faire (ce qui ne dépend plus de nous). Un vide qu'on peut aussi apparenter à ce non agir oriental qui n'est pas ne rien faire puisqu'il faut laisser advenir. Laisser le psychique se dérouler sans entraves. Néanmoins, dans l’acceptation du conflit (de ce vide), il y a quelque chose d’un sacrifice. On sacrifie ce qu’on était auparavant ("Nous sommes comme des noix. Nous devons être cassés pour être découverts", Khalil Gibran). 

 

L’Ego, c’est celui qui ne veut pas bouger. Le Moi est pris entre conservatisme et évolution. L’Ego, c’est le conservateur. Il y a donc quelque chose qui va nous forcer à dépasser nos limites. Notre Inconscient.  Par l'intermédiaire du symbole, il cherche à redonner à notre "Moi" sa véritable place, à la fois en le dégonflant et en le renforçant, parce que son rôle est essentiel.

 

Effectivement et comme tout ce qui est, possède 3 aspects ou 3 moments  - logique mais pas nécessairement chronologique -,  selon la dialectique d'Hegel, le symbole se travaille aussi en 3 phases et implique une triple responsabilité du "Moi" : 1) LAISSER ADVENIR : rester disponible, accueillir le conflit, le vide - 2) CONSIDERER = accepter de se laisser bouleverser par le symbole, d'en voir ses multiples facettes - 3) PRENDRE POSITION : discerner parmi toutes les possibilités du symbole, celle qui sera la bonne, la plus juste ; faire le deuil de toutes les autres possibilités du symbole sera donc nécessaire ; c'est ce deuil des positions imaginaires (idéalisation) qui va nous ramener au Réel. Ainsi après ce travail du symbole, le "Moi" va se restructurer dans une nouvelle forme et devra gérer un nouveau rapport avec le monde extérieur.

 

Le symbole tient donc ensemble les énergies contradictoires. Il n’est pas un compromis entre 2 opposés (X et Y) ; il indique une conjonction (d'opposés) ; il est porteur de l’énergie de la transformation. Le symbole dépasse le conflit (insoluble en lui-même) ; il ne résout donc pas le problème, mais le transcende (Z). Donc Z comprend à la fois X et Y ; il réunit, mais il n'élimine ni X, ni Y. A nouveau dans la dialectique d'Hegel, l'unité par le conflit  passe aussi par trois stades : 1) le conflit - 2) un conflit avec le conflit, c'est-à-dire un dépassement du conflit  - 3) une réconciliation aboutissant à une unité. D'ailleurs, si aujourd'hui nous vivons dans un monde de communication, c'est parce qu'a jailli cette idée d'Hegel que tout dialogue avec tout.

 

LA FONCTION SYMBOLIQUE

Si le "Moi" conscient désire comprendre les symboles  issus de son Inconscient, c'est par cette fonction qu'il y parviendra. Cette fonction symbolique est une fonction humanisante ; elle est l’homme et fait l’homme. Si la condition d'apparition du symbole, c'est le vide, la fonction symbolique ne peut agir que quand je cesse de lutter ; quand j'accepte de lâcher.

 

Cette fonction joue dans tous les domaines de notre vie : à chaque fois qu’un choix, une décision à prendre, un problème à résoudre, c’est elle qui est sollicitée. La fonction symbolique, c’est de prévoir, d’anticiper quelque chose qui n’est pas là. Par exemple préparer à manger seulement quand on a faim (pas de fonction symbolique) ; par contre le prévoir fait appel à cette fonction.

 

La fonction symbolique est au centre de la pensée jungienne puisque c’est l’outil du processus d’individuation. Processus permettant d'accéder à ce "Moi"... plus grand ("C’est ce que sera le Moi quand le Soi sera réalisé", C.G. Jung). Pour cela, Jung insiste sur la nécessité de se situer entre des opposés, entre des instances inconciliables. Par exemple le fait d’opposer "s’occuper de soi" avec "s'occuper des autres" est inepte. Le système binaire est un système fusionnel  – dans ce "2", il n’y en qu’ "1" qui peut exister ; ce sera un rapport de force et de domination et aucune symbolisation ne pourra se faire.

 

Cependant, cette fonction symbolique  avance sur le fil du rasoir. Car il est plus facile d’être dans le rapport de force en position basse ou haute que de "tenir" le conflit. Mais en amont, c'est ce minimum de différenciation (espace vide) qui se crée entre réalité objective  -le Réel-  et réalité subjective  -Imaginaire-  qui favorise l'émergence de cette fonction. Par ailleurs, ce processus de différenciation s’accompagne toujours d’une angoisse de solitude dans l’instant (c’est un élément important de la résistance car il est aussi assimilé par certains à une forme de "mort").

 

Nous avons créé notre propre évolution  -il est reconnu aujourd'hui que le premier symbole que l'homme aurait créé serait la pierre taillée -  et la manière de nous poser dans cette confrontation des opposés est la manière de nous poser en tant que sujet. Mais cette position n’est jamais définitive car la vie est en mouvement  – plus notre équilibre semble se détruire, plus on va vers un équilibre plus juste.

 

La fonction symbolique est à la fois cette capacité humaine à accéder à une Conscience individuelle, c'est-à-dire une aptitude à devenir réellement soi-même, tout en étant capable de communiquer de mieux en mieux avec l’autre. Parce que plus on est soi-même, mieux on communique avec l'autre (notion admise par tous).

 

LE REGISTRE SYMBOLIQUE

Nous possédons tous notre propre registre symbolique qui se constitue d'un côté par le Réel - le monde extérieur -  et de l'autre par l'Imaginaire - le monde intérieur -. Ce registre est notre réservoir d’images subjectives ; toutes nos représentations  symboliques sont issues de ce registre. La manière d’aborder le monde dépend de notre première rencontre avec ce monde (première empreinte). Nous intériorisons le monde tel que nous l’avons ressenti.

 

La deuxième empreinte est toujours dépendante de la première, mais on peut s'en libérer, sous certaines conditions. Puis, au fur et à mesure de notre existence, donc de nos expériences, ce registre symbolique va augmenter et va à son tour influencer notre rencontre du monde. C'est de ce registre symbolique que vient notre capacité à symboliser. Plus notre registre est étendu, plus on rencontre le monde et plus on rencontre le monde, plus le registre s’enrichit.

 

Une explication schématique

Le monde intérieur = le JE.  Le monde extérieur = Objet, événement, être vivant...  (tout ce qui n'est pas moi) = O.  Une rencontre du monde va s’inscrire en moi = O’ (première empreinte). L'appropriation du monde = comment se représente le monde en fonction de ce que j'ai vécu.

 

O va donc se représenter à l’intérieur de moi en fonction de ce que je vis lors de ma rencontre avec lui. L'état physique et psychique dans lesquels je suis à ce moment-là vont aussi imprégner cette première empreinte O'. Ce raisonnement sera valable pour toutes les rencontres du monde.

Quand j’ai une nouvelle expérience de O = je l’aborde donc avec un a priori qui est O’ car je l’ai déjà rencontré – cela devient O1 qui sera différent de O2…

 

Toute mon appropriation de O2 va dépendre de ma capacité à me détacher de cette première impression (O') ; si j'ai la capacité de me décentrer par rapport à cette première expérience (en passant par "le vide"), je ferai une 2ème expérience de O. Et ainsi de suite... quand j’aborderai O3, j’aurais un nouvel a priori.

 

Un exemple très simple

Dans ma première rencontre avec un chien, celui-ci fut agressif et m'a mordu. Par la suite, toutes mes rencontres avec un chien se feront avec cet a priori sauf si je retire cette projection d'agressivité sur un nouveau chien que je rencontre : par exemple, je le caresse car on me dit qu'il est très gentil. A ce moment-là, je sortirai de cette forme d'enfermement qui m'imposait une association systématique d'agressivité sur tous les chiens. Par conséquent si la 2ème empreinte est toujours dépendante de la première, je n'en suis pas prisonnière selon la condition décrite ci-dessus. Mon registre symbolique peut donc se nuancer et s'étendre.

 

A l'inverse, si je suis incapable de gérer "le décentrage" par rapport à une expérience, d'en retirer la projection de la première impression, je risque bien, dans mon exemple, de ne plus jamais approcher un chien de près et continuerai donc de penser qu'ils sont tous potentiellement agressifs. Sans compter que malgré cette prudence, il est fort à parier que sur ma route surgiront d'autres chiens très agressifs ; ce qui me donnera raison. Si par malheur, je suis mordue à nouveau, je me sentirais de plus poursuivie par le sort. Ne puis-je pas là devenir le "jouet" d'une compulsion de répétition ?

 

Pour conclure, il résulte bien que le symbole est vivant et dynamique. Chaque choix qu'on fait est un symbole mais les symboles n'ont pas tous la même valeur. Toutefois, le symbole s'exerce de la même manière dans tous les choix de la vie humaine ; le processus est le même. Le symbole est à la fois le signe, l’aboutissement du processus et la transcendance de cette confrontation d’opposés. Et en même temps, son émergence n’est que la première étape de cette transformation, puisqu'il faut se maintenir dans le conflit.

 

Alors, comment définirions-nous ce "Vide" ? Un "Vide" plein ? A la fois vide et plein car du non-sens jaillit le sens. En tout état de cause, n'est-ce pas en consentant à l'existence et à ce qu'elle signifie que nous prendrons congé du Néant ?

 

 

"Un peuple qui ne sait plus interpréter ses propres signes, ses propres mythes, ses propres symboles, devient étranger à lui-même, perd foi en son destin". (Jean-Marc Adiaffi)

 

 

 

* Science des symboles

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