25 Juin 2011
Exister, c’est être hors de soi. L’homme est plus que vivant, il existe. Il se projette. Il n’adhère pas totalement au présent. Il est perpétuellement en mouvement, que ce soit en avant ou en arrière. Passé et futur l’arrachent au présent. A propos de cet arrachement, laissons la parole au poète Rainer Maria Rilke : « La bête libre a toujours sa fin derrière – et Dieu devant ; lorsqu’elle marche – elle va d’un pas éternel, comme s’écoulent les fontaines. Nous, nous n’avons jamais, pas même un jour devant nous, ce clair espace où s’ouvrent sans fin les fleurs…Qui donc nous a retournés de la sorte que, quoique nous fassions, nous avons toujours l’air de celui qui s’en va ? » Nous ne sommes pas, nous autres les hommes, comme des bêtes qui vivent mais n’existent pas. Le temps ne les concerne pas leur vie durant. Le présent est leur seul horizon quotidien. Le passé n’a d’emprise que sur leur corps ; le futur n’est rien encore. Il en va différemment pour l’homme. Passé et futur sont omniprésents. Pourquoi en est-il ainsi, semble s’interroger le poète Rilke. Parce que peut-être la projection est une condition de notre survie, et qu’on ne peut se projeter sans appui, c’est-à-dire par référence au passé. Futur et passé seraient ainsi des temps nécessaires à notre maintien au présent. L’instinct ne nous suffit pas. La spontanéité et l’immédiateté étaient bien trop périlleuses pour les premiers des hommes. Sans fourrure, ni défense, nos plus lointains ancêtres n’avaient pas d’autre choix que de se dépasser pour survivre. Ce dépassement de soi nous est resté car il est le fondement de notre humanité. Si nous nous refusions à exister, nous ne serions plus des hommes. En effet, l’être humain en soi n’a ni fin, ni moyen. Il lui faut tout trouver et tout faire. Il échappe à toute nécessité essentielle. Il n’a pas le choix que de se déterminer lui-même, car rien ne le prédétermine. Cette auto-détermination, c’est la liberté. L’homme est condamné à être libre pour survivre.