7 Janvier 2017
De quand date le capitalisme ? Peut-on parler de système capitaliste avant que les révolutions industrielles n’aient été en marche en Europe ?
Dans l’hypothèse où le capitalisme se caractérise par la détention privée de moyens de production, l’accumulation de capital, la recherche du profit, l’emploi de ressources sur des marchés organisés, l’existence d’une force de travail salariée, difficile d’identifier un système productif répondant à ces qualités avant que l’Angleterre ne soit engagée dans l’industrie au XVIIIème siècle.
Un capitalisme social s’est pourtant développé dès le XVème siècle, dans des sociétés majoritairement rurales, le cœur du système étant constitué par des grandes cités marchandes ouvertes sur la mer, la Méditerranée d’abord, avec des villes comme Venise, Gènes, sur l’océan ensuite, avec la domination des ports de l’Europe du Nord (Anvers, Amsterdam). Ce n’est qu’après que Londres est devenu le centre de l’économie mondiale. La prospérité de ces grands pôles marchands reposa sur des fonctionnements capitalistes : accumulation du capital, prise de risque, quête du profit. Les marchands négociants avaient également recours à une main d’œuvre salariée, et utilisaient déjà les outils d’un capitalisme financier embryonnaire : lettre de change, achat à terme, assurance pour les navires…
A une époque où les rendements agricoles sont faibles, où domine l’artisanat, les activités marchandes sont la principale source de bénéfice. Les profits issus du commerce vont progressivement alimentés l’industrie naissante, les commerçants des grandes cités faisant travailler les artisans de l’arrière-pays. Puis, avec le développement du machinisme, la main d’œuvre salariée se trouve de plus en pus concentrée dans des unités spécialisées. L’accumulation des capitaux en Europe du Nord a alimenté un premier capitalisme d’argent.
Le capitalisme financier émergent produit le crédit vers des entrepreneurs innovateurs, mais aussi vers les propriétaires fonciers soucieux d’accroître les rendements agricoles, au moment où l’industrie naissante provoque une poussée de la population urbaine qu’il faut nourrir. La révolution agricole nourrit l’essor de l’industrie, les disettes disparaissent. Une abondante main d’œuvre est devenue disponible pour l’industrie. Et avec la baisse des prix des matières premières, les industries agro-alimentaires sont stimulées.
La dynamique du capitalisme est donc en marche à partir de la fin du XVIIIème siècle. Et si le système capitaliste est protéiforme dans le temps (commercial, industriel, financier), c’est avant tout le reflet des mouvements de capitaux, lesquels se dirigent là où les taux de rendement sont les plus élevés. Il y a donc un véritable continuum entre les espaces précapitalistes constitués au Moyen-âge et l’émergence du capitalisme moderne.
Sur un plan géographique, on peut se demander pourquoi le capitalisme est né en Europe. Pourquoi est-ce dans l’espace européen que se sont développées les innovations technologiques ayant permis le décollage de la croissance économique, et non pas chez d’autres cultures, musulmanes ou chinoises, lesquelles ont pourtant été à une époque plus puissantes que la civilisation européenne et ont connu aussi des créations de richesse liées au commerce et à l’utilisation d’outils financiers innovants ? Au début du XXème siècle, Max Weber répondît à cette question en établissant un lien entre l’esprit capitaliste et l’éthique protestante. La diffusion de valeurs, comme la discipline ou l’épargne, aurait selon lui favoriser l’émergence des entrepreneurs. Cette explication n’est pourtant pas suffisante car, outre que les espaces précapitalistes soient antérieurs à la Réforme, l’émergence du capitalisme correspond surtout à l’émergence d’une pensée laïque et rationnelle, laquelle a impacté les rapports sociaux. Ainsi, les thèses portées par les mercantilistes et les physiocrates ont stimulé dans toute l’Europe la montée en puissance d’une classe bourgeoise et le libéralisme en tant que doctrine économique et politique. C’est sans doute sur ce point que se situe la différence fondamentale entre le continent européen et les autres grandes civilisations, celles-ci restant ancrées dans des rapports sociaux peu évolutifs, mais aussi l’abondance de leur population n’ayant pas été incitative pour la recherche de gains de productivité, donc de l’innovation.