Philosophie, économie, politique, littérature, la culture rendue accessible à tous
8 Juin 2010
La nature du travail au sens général a profondément évolué au cours de ces dernières décennies au sein des sociétés occidentales. Les pays émergents ont en effet repris pour l’essentiel la charge des activités manufacturières, ce qui a entraîné un accroissement continu du travail immatériel au sein des économies dites développées. Aujourd’hui, 80% des travailleurs français ne sont plus liés à la production d’un objet concret. Ainsi, notre rapport au travail a changé, et ce changement concerne pour grande partie la santé. L’usure est bien plus, de nos jours, mentale que physique. L’organisation fordienne a en effet cédé la place à une individualisation des postes. Même si le travailleur moderne s’est libéré du travail à la chaîne, de nouvelles souffrances sont apparues, et celles-ci se sont généralisées. Le mal-être professionnel concerne dorénavant toutes les fonctions. Il se traduit notamment par un stress de plus en plus omniprésent et continu, qui se définit, selon une enquête européenne menée sur les conditions de travail, de la façon suivante : « Un état de stress survient lorsqu’il y a déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face. Bien que le processus d’évaluation des contraintes et des ressources soit d’ordre psychologique, les effets du stress ne sont pas uniquement psychologiques. Il affecte également la santé physique, le bien-être et la productivité de la personne qui y est soumise ». Ainsi, l’abattement physique au travail n’est désormais plus premier, mais dérive d’une santé mentale sous tension. Cela entraîne une difficulté pour identifier les causes de désarroi professionnel car le champ du stress est très large. Il touche à la subjectivité de l’employé, cet impact étant bien plus transparent et guère mesurable comparé aux stigmates de la machine. En outre, l’expérience au travail peut aller jusqu’à devenir un enfer dans le cas du harcèlement moral. La victime se trouve en effet dépossédée d’une part d’elle-même en étant marquée profondément sur le plan psychique, en réaction au comportement avilissant d’autrui à son égard.
Que nous dit alors la philosophie de cette évolution des conditions de travail ? Rappelons que, d’une façon générale, le travail physique était considéré dans le passé par la plupart des penseurs comme dégradant, et que seules ne valaient les activités contemplatives et réflexives. La philosophie contemporaine a pourtant pris la mesure des mutations profondes touchant la vie professionnelle. Sont distinguées aujourd’hui deux dimensions quant au travail : cognitive, pour les fonctions se traduisant par le traitement d’informations et la résolution de problèmes, et affective, s’agissant pour cette dernière des emplois appelant au relationnel. Mais pour ces deux catégories, il existe une constante qui impacte chacun, à savoir la place prépondérante prise par le travail dans la vie de l’individu. En effet, une activité immatérielle mobilise bien plus l’intériorité de chaque employé. Celui-ci s’engage en entier pour accomplir les tâches qui lui sont confiées. L’engagement physique n’est certes plus direct, mais la disponibilité mentale exigée et exploitée influe également sur le corps. Il est également demandé de nos jours plus de flexibilité qu’anciennement, les objets sur lesquels portant le travail, c’est-à-dire l’information et les relations humaines, étant par nature plus mouvants qu’une production standardisée. La subjectivité du travailleur est donc particulièrement mobilisée dans le monde actuel du travail, et ainsi elle se trouve façonnée par les affaires professionnelles. Autrement dit, le travail est devenu plus identitaire qui ne l’était, signifiant une autonomie plus forte associée à un risque personnel plus conséquent. Ainsi, même s’il ne faut pas se refuser un investissement personnel dans sa profession qui est aussi source d’épanouissement, il faut savoir se limiter dans cet engagement de soi. Notre survie se joue certes au travail, mais la vie est également ailleurs.